PAR RÉMI HUGUES.
Une analyse métapolitique de l’affaire Yann Moix.
Simone Weil plutôt que Yann Moix
Une autre grande figure de la philosophie française des temps modernes s’est inspirée de la kabbale pour élaborer son propre schème métaphysique : Simone Weil. Juive convertie au christianisme, elle a repris l’idée de tsimtsoum dans ses écrits, terme qui veut dire « retrait de Dieu du monde ».
Contrairement à Moix, Simone Weil « n’a pas eu une enfance malheureuse. Des parents généreux, compréhensifs, même s’il leur arrive dʼavouer qu’avoir une sainte pour enfant n’est pas une sinécure ; un frère génial, parfois attendri et souvent complice. »[1]
Contrairement à Moix, elle n’a pas sacrifié son âme à une existence corporelle, matérielle, riche de concupiscence et de volupté. Sa vie fut pleinement celle d’une mystique, à lʼimage d’une Sainte Blandine, préoccupée d’abord par ce que Nietzsche appelait du haut de sa morgue germanique l’arrière-monde.
Mais, comme Moix, elle est soupçonnée d’avoir porté atteinte à la dignité de la communauté juive ; ce qu’on impute au premier pourrait en effet aussi lui être imputé à elle. Voici par exemple ce qu’elle écrivit : « Les Juifs, cette poignée de déracinés a causé le déracinement de tout le globe terrestre […]. La tendance des Lumières, XVIIIème, 1789, laïcité, etc., a accru encore infiniment, le déracinement par le mensonge du progrès. Et l’Europe déracinée a déraciné le reste du monde par la conquête coloniale. Le capitalisme, le totalitarisme, font partie de cette progression dans le déracinement. […] Les Juifs sont le poison du déracinement. »[2] Ainsi, un Juif sait être aussi cruel – voire plus si l’on se rappelle les propos tenus par le champion d’échecs Bobby Fischer – que le « gentil » vis-à-vis de la communauté reliée autour de l’héritage laissé par un certain Moïse.
Les contradictions internes du judaïsme réellement existant
Cet héritage, cette tradition encore vivace, revêt un caractère hybride. Elle relève autant du particularisme national que de l’universalisme abstrait, ce qui explique pourquoi elle peut faire l’objet dʼune critique virulente qui peut venir à la fois des tenants et des contempteurs du cosmopolitisme bourgeois ou prolétarien et de l’exclusivisme ethnique suprématiste, ce qui fait de cette « nationalité chimérique », pour reprendre les mots de Marx, la nation à l’étoile jaune.
Simone Weil expliquait « qu’il y a quelque chose de ʽʽmaurrassienʼʼ dans la religion nationale de Moïse »[3]. Voilà la raison du soutien du maurrassien – – et donc soupçonné d’antisémitisme – Pierre Boutang au jeune État d’Israël au moment de la Guerre des Six Jours, en 1967. Sans doute son jugement serait plus nuancé à l’heure dʼaujourdʼhui, et sa vision sur Gog et Magog serait autre. Certainement que sa conception de la fin des temps – ou eschatologie – se serait affinée à partir des enseignements qu’il aurait pu tirer des événements apparus à cause de l’avancement de la roue du temps.
Il est par conséquent « aussi absurde de faire de Simone Weil une antisémite sous prétexte qu’elle critique la religion juive »[4] qu’il est inepte dʼériger Boutang en sioniste, au prétexte qu’il a pris à un moment donné la défense d’Israël. Et, concernant Moix, rien ne justifie de s’acharner contre lui, tant pour son antisémitisme juvénile supposé que pour sa « judéolâtrie » affichée actuellement (qui paraît avant tout intéressée) puisque son œuvre littéraire est dérisoire.
LʼÈre du vide de la République des lettres
Ceux qui le prennent pour un vrai écrivain sont des gogos, les mêmes qui se sont délestés d’un peu de leur pécule pour se procurer le dernier opus de François Hollande ou de Nicolas Sarkozy. Les monographies de ces hommes appartiennent, cela est certain, à l’ « ère du vide » décrite par le philosophe néo-tocquevillien Gilles Lipovetsky.
La République des Lettres est à l’image de la République tout court : aux abois, à lʼagonie, en cours de chute vers le fond abyssal du néant. Nous voici parvenus, ce semble, à la phase antédiluvienne de ce système par excellence du règne de lʼétranger quʼest la République.
À lʼinstant du crépuscule espéré, il y a un grand vainqueur de lʼaffaire Moix, son éditeur Grasset, dirigé par un membre de la bande à BHL, un certain Olivier Nora, qui engrange les ventes dudit ouvrage que stimule cette polémique vaine ; laquelle paraît à certains égards montée de toutes pièces à des fins commerciales. Lʼauteur a dʼailleurs annoncé avoir arrêté la campagne de promotion, ce serait perdre du temps, alors que le prochain livre est déjà en route. Il portera le nom du lieu où les rois étaient couronnés : Reims. (Suite et FIN) ■
[1]Jacques Julliard, Le choc Simone Weil, Paris, Flammarion, 2014, p. 121.
[2]Cahiers, vol. III, Paris, Plon, 1975, p. 216.
[3]Jacques Julliard, op. cit., p. 94.
[4]Idem.