Par Gérard Leclerc.
« Oui, il est très tentant de réécrire l’histoire … »
J’apprends par un fort intéressant papier du Monde que notre président souhaite ardemment « rebâtir un récit collectif et un imaginaire collectif européens ». Emmanuel Macron prendrait exemple sur « la vitalité culturelle et civilisationnelle du discours qui prévaut en Russie et en Hongrie », bien qu’il s’agisse, selon lui d’un discours erroné.
Sylvie Kauffmann ne manque pas d’illustrer le caractère très particulier que revêt en Russie une reconstruction de l’histoire, par ailleurs soumise à des révisions radicales. Le même Vladimir Poutine qui affirmait, il y a dix ans, que le pacte Molotov-Ribbentrop du 23 août 1939 avait été une erreur, « une décision moralement inacceptable, dangereuse, préjudiciable et absurde d’un point de vue pratique » défend aujourd’hui la thèse strictement contraire. Ce n’est que « contrainte » que l’Union soviétique de Staline aurait pactisé avec Hitler, en négociant des sphères d’influence. Poutine oublie de dire que c’est ce pacte qui a permis aux deux dirigeants de se partager la Pologne, entraînant ainsi le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
Oui, il est très tentant de réécrire l’histoire pour les dirigeants des pays qui savent l’importance de la force des représentations du passé, imposant à l’imaginaire des mythes fondateurs. Sans doute, est-ce surtout l’arme favorite des États totalitaires. Et il est courant aujourd’hui d’accuser les États dits illibéraux de recourir aux mêmes procédés. Est-on vraiment sûr que les pays démocratiques soient indemnes de ce genre de tentations ?
Ce n’était pas l’avis de ce grand sociologue qu’était Jacques Ellul : « C’est un fait digne d’attention et assez remarquable, écrivait-il en 1962, que la grande propagande moderne ait commencé dans les États démocratiques » [1] Et ce n’est pas parce que le libéralisme suppose le pluralisme politique qu’il est indemne de toute action manipulatrice, car les différents partis utilisent tous la propagande à leurs propres fins. Il s’agit de se concilier l’opinion publique, et pour cela il convient de satisfaire à un certain nombre de tropismes qui ont été scrupuleusement inventoriés et qui sont aussi utiles à la publicité commerciale. Est-ce à dire qu’il faut se résigner à un pessimisme plutôt débilitant ? Non, sans doute, ne serait-ce que parce que l’histoire appartient d’abord aux historiens et que c’est à leurs travaux qu’il faut se référer plutôt que de sacrifier aux mythes de la propagande. ■
[1] Cf. Patrick Chastenet, Introduction à Jacques Ellul, La Découverte, 128 p., 10 €.