Mark Zuckerberg, 35 ans, né à White Plains dans l’État de New York d’un père dentiste et d’une mère psychiatre, a édifié en peu d’années une fortune personnelle de plus de 75 milliards de dollars, la huitième du monde.
Cette richesse inouïe, il l’a tirée de Facebook. Réseau mondialisé, dit social, qui revendique 2,4 milliards d’utilisateurs et réalise 55 milliards de chiffre d’affaires. Les utilisateurs de Facebook auront été les idiots utiles de cette création de richesses en même temps qu’ils devenaient captifs du système Zuckerberg, que leurs données personnelles les plus générales et les plus intimes étaient pillées pour être revendues aux entreprises, publicitaires, organismes divers qui allaient en faire un usage intensif. Jamais création de richesse n’a été aussi dérisoirement payée de retour. Richesse créée pour prix des gigantesques profits réalisés ? Du vent.
Évidemment ni l’intelligence ni la culture de Mark Zuckerberg ne se sont formés sur Facebook. Les sources d’inspiration, les idées-mères, de ce jeune-homme surdoué, ont des origines lointaines et elles sont profondes. Messianiques. Universalistes.
Facebook ne distille ni intelligence, ni culture. Au contraire, il les contredit, les annihile, les empêche s’il y a addiction. L’on sait aujourd’hui comment il vampirise et réduit les capacités cérébrales (Attention, concentration, etc.). Il crée un lumpenprolétariat universel des cerveaux. De nombreuses et sérieuses études du phénomène Facebook prolifèrent en ce moment*. Mettons nos pendules à l’heure : Facebook n’est déjà plus revendiqué comme un fleuron de la modernité. Simplement une machine à sous et à captation de données.
Mark Zuckerberg, lui, rêve de gouvernance mondiale, d’humanité postnationale, d’intelligence artificielle, de transhumanisme, le tout configuré, manipulé, engendré par les Élus en petit nombre destinés à enfanter la planète nouvelle, l’homme nouveau, selon leurs vœux. Ce dernier ne sera pas libre. Les équipes de Mark Zuckerberg sont saisies de ces dossiers.
Mais Mark Zuckerberg a une plus vaste et haute ambition, corrélative, qui n’est rien moins que de créer une monnaie universelle, déjà nommée Libra, laquelle, par-delà et par-dessus États et monnaies nationales, contribuera à l’unité du monde, sous la houlette des Élus, formant cénacle autour de Zuckerberg. Montagne de sucre. Son Royaume est de ce monde. Il n’est pas Jésus. Il est Barabbas, l’agitateur messianique.
Zuckerberg rapporte gros â l’Amérique mais son idéologie est frontalement à l’opposé du nationalisme renaissant des États-Unis. Ce nationalisme profond et décomplexé qu’exprime Donald Trump pour qui « l’avenir appartient aux patriotes, pas aux mondialistes ». Avec son Libra, cette monnaie universelle qu’il a mise en chantier, Zuckerberg, cette fois-ci passe les bornes. Le voici dans l’hubris. Elle sonne souvent la fin du kairos, ce temps de chance, de réussite et de vie opportune dont Zuckerberg a tant bénéficié jusqu’ici.
Mark Zuckerberg ignore ou oublie qu’une monnaie doit être adossée à une puissance publique, à un État, petit ou grand, qui dispose des moyens de défendre ses intérêts, son territoire, ses frontières, ses ressortissants, ses valeurs. Il oublie tout simplement que la puissance publique, les États, disposent de la force publique, d’une armée, de gens d’armes, d’une police et de prisons. Sur sa montagne de dollars, Mark Zuckerberg, comme tout financier, comme jadis les banquiers juifs de Milan ou de Florence, d’Amsterdam ou Anvers, ne dispose pas de ces attributs ordinaires qui sont en revanche à la discrétion de n’importe quel roitelet.
C’est la faiblesse des banquiers, des milliardaires, des oligarques, et des financiers, que de risquer d’être jetés en prison par le moindre des pouvoirs politiques, de voir leurs biens confisqués ou spoliés. Si vous trouvez les exemples donnés trop anciens, vous vous trompez. Poutine l’a fait dans son pays. Dominique Strauss-Kahn dirigeait le Vatican ou la Mecque de la finance mondiale, il était, à la tête du FMI, comme un pape du capitalisme universel, lorsqu’il fut emmené, hirsute, hagard et menotté, dans une geôle new-yorkaise. Il était un puissant parmi les puissants. En un instant, il avait cessé de l’être. Il n’était qu’un serviteur de l’Or du monde. Il lui manquait la force publique. Le destin de Carlos Ghosn n’est pas très différent : pétri de puissance et d’orgueil, bouffi de toutes les vapeurs de l’hubris, de toutes les audaces des parvenus de mauvais goût, il croupit depuis des mois, otage de l’Empire du Soleil Levant, non loin du trône du Chrysanthème, prisonnier d’un petit juge nippon, fort d’incarner l’âme et l’histoire de sa patrie. Rideau sur la puissance de l’Argent !
Comme le jeune Louis XIV (23 ans) avait fait arrêter Fouquet, qui étant devenu plus riche et, par l’argent, plus puissant que le roi, avait été envoyé finir ses jours en forteresse en province, nous serions le président des États-Unis, nous ferions arrêter illico Mark Zuckerberg pour avoir eu l’audace de songer à créer une monnaie concurrente du dollar – du dollar notamment, car toutes les monnaies nationales sont concernées – nous l’enfermerions en quelque lieu retiré, et néanmoins décent, de la vaste Amérique et nous l’y maintiendrions pour les quelques décennies qui lui restent à vivre. La confiscation de ses biens indûment acquis pourrait servir au sauvetage de la planète. Ce serait une bonne action à laquelle pour l’instant peu de gens ont pensé. Cela pourrait venir car Trump est imprévisible et Zuckerberg, n’est pas son prophète. G.P. ■
* La civilisation du poisson rouge : Petit traité sur le marché de l’attention de Bruno Patino – Grasset 2019.
La fin de l’individu (Voyage d’un philosophe au pays de l’intelligence artificielle), de Gaspard Koenig, Éditions de l’observatoire, 2019.