PAR RÉMI HUGUES.
Un « mini-dossier » en 4 parties, à paraître du 30 septembre au 3 octobre. À suivre.
Le propos nʼest pas tant dʼimputer au judaïsme ou au sionisme – notez-le bien – les atrocités entourant lʼactivité dʼEpstein, qui occupait la fonction de rabatteur de jolies mineures aux hommes qui comptent sur cette planète – aux princes de ce monde –, mais dʼinsister sur le fait que tout cela a plus à voir avec lʼantinomisme contemporain, dont lʼhéritage de cette hérésie quʼest le sabbato-frankisme forme lʼune des racines.
Quʼest-ce sont les Haskalah ?
Ce courant messianique euro-méditerranéen de la culture juive dʼAncien Régime a donné naissance à la Haskalah, les Lumières juives. Si cʼest dʼabord au nom de Moses Mendelssohn quʼelles sont associées – on pourrait ajouter Menasseh ben Israël, qui en quelque sorte en fut le devancier –, ce quʼil importe de souligner au sujet de la Haskalah, cʼest que sa postérité a marqué de façon décisive le XXème siècle.
Quatre héros juifs laïcisés ont fondé les quatre « paradis » dudit siècle. Cette thèse sʼinspire très largement des travaux de lʼhistorien Yuri Slezkine, dʼaprès qui au XXème siècle trois Terres promises se sont offertes aux Juifs[1]. Une dont le patriarche symbolique, lʼinspirateur, était Karl Marx : lʼUnion Soviétique.
Une autre, les États-Unis dʼAmérique, qui accueillaient à bras ouverts les ashkenazim fuyant la barabarie totalitaire qui sévissait en Europe, avaient choisi comme curateur des âmes officiel le penseur le plus célèbre de la psyché, Sigmund Freud.
Slezkine note quʼaux « États-Unis, où les métaphores tribales mises au service de la nation ne pouvaient pas sʼappuyer sur une théorie de la descendance biologique, le freudisme tombait à pic. Sʼefforçant de réconcilier les égoïsmes individuels avec lʼintérêt commun par le biais de la séparation et des ʽʽchecks and balancesʼʼ (poids et contrepoids), lʼÉtat libéral entreprit bientôt de se charger aussi de la cure des âmes individuelles. »[2]
Cʼest pourquoi il « avait commencé à formuler une nouvelle conception de son rôle et du bien-être de ses citoyens. Il sʼagissait de plus en plus dʼun État thérapeutique et, sans quʼil en soit vraiment conscient, foncièrement freudien. »[3]
Enfin Theodore Herzl (Photo), cet agnostique ou athée qui ne se gêna pas dʼen appeler à la conversion des Juifs de lʼEmpire dʼAutriche au christianisme afin de parfaire leur assimilation, suivant lʼexemple de Jacob Frank en Pologne au XVIIIème siècle, avant de tourner casaque en théorisant en 1896 le Judenstaat, la Terre promise sioniste, affecté par ce qui se passait à ce moment-là dans ce pays où ses coreligionnaires sʼy disaient heureux comme Dieu en France , cʼest-à-dire quand éclata lʼaffaire Dreyfus.
La Science, religion profane du XXème siècle
En revanche dans son ouvrage Yuri Slezkine oublie un « paradis », un Éden, élargi lui à la terre entière, par-delà les frontières nationales, celui de la Science, dont le grand maître fut Albert Einstein. Le grand physicien incarne dans lʼimaginaire collectif lʼidée dʼune Science comprise en tant que fin en soi, la Science pour la Science en somme, mais en réalité son cerveau supérieur se mettait au service dʼun cœur, dʼidéaux, à mi-chemin entre le socialisme et le libéralisme, ce qui fait de lui, si lʼon peut dire, le fils adultérin de Marx (Photo) et de Freud. Celui-là ne prétendit-il pas que son socialisme était scientifique ? La doctrine de celui-ci « aspirait à devenir la religion du capitalisme moderne » et « paraissait offrir une justification scientifique au thème libéral de lʼindividu intrinsèquement faillible en appliquant les principes du libéralisme politique aux mystères de lʼâme humaine. »[4]
Einstein (Photo) était dʼesprit si haskalah quʼil refusa le titre honorifique de président dʼIsraël, nation dont lʼétroitesse du territoire sʼopposait à lʼuniversalité consubstantielle à la vérité des lois scientifiques, qui par principe ne connaissent aucune borne. Parmi ces quatre figures majeures du XXème siècle, celui dont Epstein lʼAméricain se rapproche le plus est naturellement Sigmund Freud, dont la science a été adoptée par le pays, érigée en théorie médico-sociale officielle.
Ce dernier, à travers ses œuvres, sʼest efforcé de démontrer que la libido – le désir sexuel – est le moteur surdéterminant des conduites humaines. Dans une perspective historico-politique, il sʼavère que le freudisme – ou psychanalyse – est assimilable à une science bourgeoise dans la mesure où la prophylaxie quʼil a édifiée tend à déculpabiliser celui qui en est le patient, lequel est nécessairement aisé, eu égard au coût élevé des consultations. Il est déchargé de toute responsabilité vis-à-vis des « coups » quʼil porte aux êtres avec qui il entretient des rapports socioéconomiques du fait de sa position élevée dans la hiérarchie sociale. (Suite fin demain jeudi) ■
[1] Le Siècle juif, Paris, La Découverte, 2018.
[2] Ibid., p. 95.
[3] Ibid., p. 340.
[4] Ibid., p. 341.