PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ
Cette chronique est parue dans Le Figaro papier du 5.10. Mathieu Bock-Côté, c’est une évidence, aura été, depuis son Québec si français, un grand réveilleur des intellectuels français et leur réaction s’amplifie. Chronique à lire, donc, éventuellement à discuter. Nous ne sommes pas sûrs, en effet, que la référence à ce que fut vraiment l’esprit Charlie, soit des plus pertinentes. Mais le fond de la réflexion menée ici pointe la police de la pensée qui s’est instituée contre notre identité. On ne peut qu’approuver. JSF
Plus les années passent, plus le domaine de l’interdit s’étend.
Il y a près de cinq ans, devant un attentat sans précédent mené par un commando islamiste contre la rédaction de Charlie Hebdo, les Français répondirent par une manifestation historique en clamant leur attachement à la liberté d’expression.
Ils voulurent faire savoir au monde que la France plaçait plus haut que tout le droit de questionner toutes les croyances et philosophies, quelles qu’elles soient. C’était l’esprit Charlie, postulant que la raison n’a à se soumettre à aucun dogme, quel qu’il soit.
Au fil des ans, plusieurs survivants de l’attentat ont senti le besoin de témoigner pour comprendre les événements. Aujourd’hui, c’est au tour de Riss d’y revenir dans Une minute quarante-neuf secondes . Lors d’entretiens, sans fausse sérénité, il a dénoncé ceux qui ne purent s’empêcher de voir dans le sursaut français une forme d’« islamophobie » ne disant pas son nom. La France manifestante ne réclamait rien d’autre, apparemment, que son droit de persécuter les musulmans. Convenons-en : ils furent assez nombreux à défendre cette thèse, qui n’était pas sans lien avec une sociologie militante qui transforme les agresseurs en victimes, pour peu qu’ils appartiennent à une minorité.
Près de cinq ans plus tard, l’esprit Charlie ne se porte pas très bien. La censure reprend ses droits. La peur y est assurément pour quelque chose. Qui pense mal peut le payer de sa vie. Mais elle n’explique pas tout. C’est d’abord celle exercée par le régime diversitaire contre ceux qui ne reprennent pas avec enthousiasme le récit enchanté que notre époque donne d’elle-même. C’est la tentation pénalitaire du progressisme contemporain. Il lui suffit de nommer extrême droite ou populisme ce qui le révulse pour se permettre de vomir sans gêne ses adversaires et d’en appeler à leur expulsion du débat public. Le politiquement correct se judiciarise. On l’a vu il y a quelques mois encore avec la loi Avia. Au cœur de cette censure, on trouve la lutte contre les propos « haineux », dont la définition ne cesse de s’étendre.
Plus les années passent, plus le domaine de l’interdit s’étend. Peut-on critiquer l’immigration massive et ses effets sans être accusé d’encourager la haine raciale ? Peut-on s’inquiéter de la multiplication des territoires se dérobant tout à la fois à la souveraineté nationale et à la culture française ? Peut-on observer sans risquer d’être lapidé médiatiquement qu’il existe un lien entre l’immigration et l’insécurité ? Peut-on critiquer les fondements même de l’islam comme on critique les fondements du catholicisme sans passer pour « islamophobe » ? Le véritable blasphème aujourd’hui consiste à médire de la « diversité ». On ne veut pas seulement proscrire certaines idées, mais criminaliser certains constats qui nous amèneraient à relativiser l’idée d’une « diversité » radieuse. Et pour cela, le progressisme doit verrouiller médiatiquement la représentation de la société en traitant comme des délinquants ceux qui ne voient pas le monde comme il le faudrait. Ce dont il rêve, c’est du monopole du récit médiatique légitime.
Inversement, comment ne pas remarquer que le régime diversitaire fait preuve d’une tolérance exceptionnelle envers ses enfants les plus turbulents ? La mouvance indigéniste plaide ainsi pour un racialisme décomplexé qui vire au racisme antiblanc sans être inquiété sérieusement. Une des figures dominantes de l’indigénisme, Rokhaya Diallo, peut même relativiser l’Holocauste en disant que les Juifs d’Europe n’ont pas été exterminés en tant que groupe et continuer son petit bonhomme de chemin dans le système médiatique en passant pour une intellectuelle audacieuse. Une fois confrontée, elle cherchera à se défendre en expliquant qu’ils n’avaient pas été assassinés à cause de la couleur de leur peau, ce qui confirme, sans même qu’elle s’en rende compte, le primat de la race comme catégorie d’analyse dans son esprit. On attend encore la vague d’indignation devant des propos aussi abjects.
Cette complaisance envers l’extrême gauche racialiste, que le progressisme traite comme son avant-garde idéologique, montre bien l’asymétrie profonde dans la structuration de l’espace public. Faut-il pour autant la censurer ? Non. Le débat public peut et doit être vif, robuste, abrupt, même. Il faut même renverser la perspective. C’est tout le dispositif des lois « encadrant » la liberté d’expression qu’il faudrait questionner. Est-il normal de multiplier les délits d’opinion ? Si la diffamation comme l’appel à la violence doivent être interdits, cela va de soi, il n’est pas certain qu’il faille étendre plus loin le domaine de la censure. Ce n’est pas en bâillonnant juridiquement un adversaire qu’on le combat, même quand on le juge outrancier, mais en lui répondant avec des arguments. Qu’une telle évidence passe aujourd’hui pour scandaleuse montre bien à quel point l’esprit Charlie est derrière nous. ■
Il n’y a plus en France de débats qu’entre approbateurs et louangeurs de l’islam, entre partisans de l’Europe et défenseurs de l’abandon de nouveaux pans de souveraineté, entre thuriféraires de l’immigration et partisans de l’accueil d’encore plus d’immigrés, entre sectateurs des avancées sociétales comme la PMA et apologistes de la GPA. Et tout ce qui sort des rails est susceptibles d’être l’objet de la vindicte des chiens de garde et de poursuites judiciaires.
Cadenasser la liberté d’expression sous les buvards mentaux de la protection des minorités est une technique du totalitarisme soft qu’affectionnent les thuriféraires de la « mondialisation heureuse « . Le projet, jamais débattu mais imposé par des « hors classes internationales » d’une reconstruction « Al Andalous » mondiale, où tous les êtres humains pourraient se fondre dans le nirvana de l’éternelle indifférenciation, sous la vigilante supervision des auto-élus, est celui des progressistes. Ce projet n’est pas nouveau, il était déjà sous-jacent à la fondation de la Société des Nations, la funeste SDN, qui porte une grande part de responsabilité dans l’arrivée d’Adolphe Hitler au pouvoir. Les techniques de manipulation des foules ont fait, grâce aux techniques de marketing, des progrès depuis l’exercice du pouvoir par les nazis et les soviétiques. La violence idéologique ne se fait plus par la force brute, mais par la propagande, exercée moins par des organes de partis, que par la coercition financière et managériale des organes d’information existants. La modification des opinions s’exerce ainsi sans rupture, par la continuité sémantique d’un discours normalisé repris à tous les étages d’une communication calibrée aux expressions standardisées. L’abaissement corrélatif du niveau scolaire qui répond à la double nécessité de prendre en compte l’analphabétisme de l’immigration de masse, et le nécessaire appauvrissement des capacités sémantiques des populations afin de faciliter l’acceptation du discours, fait partie des moyens de la propagande. Second étage du contrôle, la réduction « ad hitlerum »du débat idéologique, et l’exercice de la terreur juridique par des Lois restrictives sur la liberté d’expression, permettent d’empêcher l’échange d’arguments, au profit de la catégorisation démoniaque des adversaires, et leur condamnation. Ainsi toute critique devient une atteinte à un corpus non défini, échangeable au gré des sujets, servant à discréditer toute parole non conforme à la doxa propagandiste. Dernier étage et non des moindres, la fabrication de « grandes causes » comme l’anti-nucléaire et le climato-catastrophisme, qui ont succédé à l’antimilitarisme, vise à la fois à créer des points de fixation orwelliens, par la création de pseudo-consensus fabriqués et entretenus par le système de propagande, et la mise en place de filières contrôlées par les promoteurs, pour la mise en place de financements publics, autrement dit par les peuples. Ce totalitarisme « new age » n’est fondamentalement pas différend de ses prédécesseurs, mais son habileté à faire exercer le contrôle par ses sujets eux-mêmes, fait espérer à ses machinistes une pérennité supérieure, évidemment au risque constamment présent d’une explosion, car on ne couvre pas hermétiquement un récipient sous pression.