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Par Louis-Joseph Delanglade.
A l’automne 2016, Sylvain Tesson venait de publier Sur les chemins noirs. chez Gallimard. Louis-Joseph Delanglade avait consacra à cet ouvrage et à son auteur l’un de ses Lundis. [19 décembre 2016]. Un bel article avec pour titre Sur les chemins de chez nous. Se relevant d’un très grave accident, Tesson venait de traverser la France à pied, en diagonale, du Sud au Nord, d’Est en Ouest, et en solitaire, voyage d’où il avait tiré un superbe récit et comme une méditation intérieure qui n’était pas sans rapport avec un certain rejet de la modernité.
Trois ans après Sylvain Tesson publie un nouveau livre qui a pour cadre d’autres horizons, lointains cette fois-ci, mais toujours ceux d’un monde vrai plutôt que fallacieux. Ainsi, La Panthère de neiges vient de paraître ce 10 octobre, toujours chez Gallimard et emmène le lecteur dans les altitudes extrêmes du Tibet. Nous n’avons pas encore lu le livre, mais selon ce que nous avons entendu des présentations qu’il a faites de son livre sur diverses antennes, Sylvain Tesson n’a guère changé. Nous reprenons ici l’article de Louis-Joseph Delanglade déjà cité. Il jettera sur notre auteur un éclairage toujours actuel.
Peu importe qui il est. Désireux d’accomplir la promesse qu’il s’était faite sur son lit d’hôpital (« si je m’en sors, je traverse la France à pied »), un jour, il s’est mis en marche.
Pas façon Macron, façon chemineau, comme un personnage de Giono. A pied donc, de Tende à La Hague, une belle diagonale du Mercantour au Cotentin, du 24 août au 8 novembre 2015, en empruntant au maximum les chemins les plus improbables, les plus délaissés, les plus retirés de la vraie France profonde. En est résulté un petit livre qui, en contrepoint du récit de cette pérégrination, propose une véritable réflexion sur la France d’aujourd’hui.
Fuyant le « clignotement des villes » et méprisant les « sommations de l’époque » (en anglais, comme il se doit à l’ère de la globalisation : « Enjoy ! Take care ! Be safe ! Be connected ! »), le voyageur met en pratique une stratégie de « l’évitement ». Eviter quoi ? Ce qu’il appelle « le dispositif ». D’abord visible à l’œil nu : c’est la France des agglomérations telle que l’ont voulue les « équarrisseurs du vieil espace français », ZAC et ZUP des années soixante ayant enfanté les interminables zones pavillonnaires et les hideuses zones commerciales. Laideur partout.
Ce réquisitoire implacable contre le saccage du territoire rejoint la dénonciation de la mondialisation, cette « foire mondiale » qui ruine un terroir « cultivé pendant deux mille ans ». Aux « temps immobiles » a succédé un « âge du flux » dont le « catéchisme » (« diversité », « échange », « communication ») est véhiculé par l’arrivée d’internet et la connexion généralisée. Temps immobiles : une nuit passée au monastère de Ganagobie (« Les hommes en noir […] tenaient bon dans le cours du fleuve. En bas, dans la vallée, les modernes trépidaient ») ; ou la vision du Mont-Saint-Michel (« C’était le mont des quatre éléments. A l’eau, à l’air et à la terre s’ajoutait le feu de ceux qui avaient la foi »).
Faisant sienne la vision de Braudel selon laquelle la France procède d’un « extravagant morcellement » humain et paysager, l’auteur dénonce ensuite le « droit d’inventaire » que s’arrogent « les gouvernants contemporains », notamment « les admirateurs de Robespierre » qui, favorables à « une extension radicale de la laïcité », veulent « la disparition des crèches de Noël dans les espaces publics » (et pourquoi pas des milliers de calvaires ?) pour les remplacer par … rien du tout, le néant, la mort.
Ce n’est certes pas un livre de propagande, ni un bréviaire idéologique mais bien l’œuvre d’un loup solitaire. Un livre qui peut sembler défaitiste, voire nihiliste (« je me fous de l’avenir »), au mieux nostalgique. Voir dans l’auteur un énième avatar du « bon sauvage » serait pourtant bien réducteur. On l’imagine mieux prêt à « chouanner » (selon le mot de Barbey qu’il rapporte lui-même). C’est sans doute là sa véritable portée : « Sur les Chemins noirs » de Sylvain Tesson est l’œuvre d’un antimoderne de bonne race qui nous aide à retrouver le chemin de chez nous. •
Sur les chemins noirs. Sylvain Tesson, Gallimard, 144 p., 15 €
Et cet automne …
La Panthère des neiges, Sylvain Tesson, Gallimard, 176 p., 18 €