Par Jacques Trémolet de Villers
La bataille de la PMA est engagée. Médecins et philosophes, hommes de science et hommes de foi échangent leurs arguments. L’enjeu est de taille. Mais cet enjeu appelle d’abord l’engagement des juristes.
Contrairement à ce qu’a laissé entendre le président de la République, il ne s’agit pas d’une question de technologie, il ne s’agit pas non plus d’accompagner une « nécessaire évolution des mœurs » déjà prise en compte par le mariage ouvert aux personnes d’un même sexe. Il s’agit de l’assise même du droit des gens dont les fondements sont dans le droit de la filiation.
Les Romains, pères du droit, l’avaient déterminé dans une formule célèbre de présomption légale pater is est quem nuptiae demonstrant, le père est celui que les noces désignent. La filiation maternelle est évidente par l’accouchement. La filiation paternelle ne peut être que présumée. C’est le mariage qui crée cette présomption. En dehors du mariage, c’est la reconnaissance volontaire par le père ou l’action en reconnaissance de paternité engagée par la mère, au nom de l’enfant, qui établissent cette paternité.
Le père est donc, par la nature, le plus incertain. Il tient sa place par la force du droit. La nature dit la mère. Le droit dit le père. La maternité est un fait naturel. La paternité est une institution. Il y a donc un lien indissoluble entre société, droit et paternité. Qui porte atteinte à la paternité met en danger la société. C’est le droit qui fait le liant entre la nature et la société. Là est la responsabilité du juriste. Voilà longtemps que les juristes ont oublié cette responsabilité fondamentale.
On leur a dit – et ils se sont persuadés – qu’ils étaient les organisateurs d’une société donnée avant eux. Ce n’est pas faux. Mais c’est incomplet. Les voici affrontés à leur vocation initiale. Ils ne sont plus seulement les rédacteurs du code pour vivre ensemble, les commentateurs jusqu’à la nausée des déclarations de droits de l’homme. Pour s’organiser ou composer ensemble le jeu de ces droits subjectifs de la personne humaine, encore faut-il qu’il y ait des personnes humaines, c’est-à-dire des fils.
Le fils – liber, en latin – est sujet de droit, alors que l’esclave – qui est une chose – ne l’est pas. Le droit commence avec la reconnaissance du fils. Avec lui vient aussi la liberté. Pour qu’il y ait un fils, il faut un père. La PMA supprime le père. Elle supprime donc l’origine du lien social. Elle est hors du droit.
Légiférer hors du droit
Comment le législateur peut-il légiférer hors du droit ? En fait, ce n’est pas impossible. Tous les tyrans, les démagogues l’ont fait. Mais les juristes, les vrais, ont alors rappelé avec saint Thomas d’Aquin, après Aristote et Cicéron, et après Antigone, qu’une « loi injuste n’est pas une loi ». C’est un acte de despotisme, une contrainte qui n’a d’autre fondement que la puissance arbitraire, un abus de majorité.
Un parlement peut prétendre faire des lois, mais si ce qu’il vote et que le Président promulgue n’est pas selon le droit et, dans le cas de la PMA, déconstruit le droit, son texte n’est pas, au sens fort, une loi. C’est un acte de violence contre la loi et le droit. Tous les juristes de France, d’Europe et du monde doivent se lever contre cette volonté monstrueuse de permettre, par une caricature de loi, la destruction du lien social premier, celui qui relie le fils à son père.
Les latins avaient institué les fêtes des liber-pater, associant fils et père à l’âge de la virilité et de la fécondité. Le phallus était alors mis à l’honneur, instrument de la virilité, de la fécondité et de la paternité. La déconstruction du droit est aussi l’assassinat du phallus. ■
Bel article. La PMA n’est que le prélude à l’inévitable adoption de la GPA, nouvelle étape dans la logique de la désaffiliation caractéristique de la modernité libérale, de l’avènement d’un monde de purs et simples individus narcissiques, ne devant rien à personne, auto-construits. C’est là le fantasme de notre temps, du moins des prétendues élites de nos sociétés repues. Olivier Rey, à qui la parole a été donnée il y a quelques jours sur ce blog a écrit un magnifique essai sur le sujet, ainsi résumé : »
La démocratie et la science, nos références cardinales, ont contribué conjointement au retournement : l’une et l’autre privilégiant un sujet libéré du poids du passé, des entraves traditionnelles, un sujet regardant d’emblée vers l’avant et auto-construit.
Sommes-nous pour autant devenus des surhommes qui tirent leur être d’eux-mêmes et élaborent de façon autonome leurs valeurs ? Ou bien sommes-nous restés des hommes qui, à récuser toutes les autorités, risquent de s’abandonner aux déterminismes aveugles et aux fantasmes régressifs que, vaille que vaille, les civilisations s’efforçaient d’apprivoiser ? »
Un magnifique texte de Hervé Juvin, qui mérite d’être médité.
» Nous appliquons à la Bible nos obsessions et nous avons perdu la clé de l’histoire qu’elle raconte et de l’enseignement qu’elle délivre. Sodome et Gomorrhe sont devenus les emblèmes de la liberté sexuelle portée à l’extrême, et de l’antique répression de pratique et de mœurs que nous chérissons comme manifestations de la liberté individuelle et de l’indétermination, dont l’apogée réside dans le libre choix de leur sexe par des hommes et des femmes dont la nature ne saurait déterminer le genre à la naissance ; leur désir seul doit y pourvoir. La destruction par le feu divin de Sodome et Gomorrhe est dans la Bible provoquée par tout autre chose que des excès ou des déviations sexuelles : les enfants y naissent sans pères, il n’y a pas d’état civil et la confusion des lignées et des noms y est la règle. C’est ce qui est détruit, la possibilité que des enfants naissent et grandissent sans pouvoir connaître ceux qui leur ont donné la vie et puissent, comme leur assigne le Deuténonome ‘’ leur donner juste mesure ‘’, ce qui leur revient, à eux qui ont donné la vie, pour que leurs enfants vivent longuement sur la terre qui leur a été donnée. Au moment où l’état civil est tenu d’accepter comme prénoms des vocables qui ne figurent dans aucun liste de saints ( aux USA, et c’est moi JdM qui ajoute, ces enfants auxquels on donne le prénom Google ou Twitter), de maîtres ou de héros, au moment où la revendication grandit de se libérer du patronyme du père ou de la mère pour choisir son nom, au moment où les recensements, les entreprises et la société tout entière s’interdisent de voir qui en est et qui y est, en refusant le décompte ethnique de leurs ressortissants, l’avertissement biblique prend une étrange actualité. »