Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
On reproche aux Américains de s’être entendus avec les Turcs sur le dos des Kurdes.
Or, pour paraître erratique, l’attitude américaine en Syrie répond quand même à une tendance isolationniste profonde, déjà prégnante sous M. Obama. Quant aux Turcs, ils n’ont jamais caché leur désir de sanctuariser tout ou partie de leur frontière sud-est.
On s’étonne du revirement des Kurdes vis à vis de Damas : devaient-ils accepter, pour complaire à la niaiserie de M. Lévy, de se faire écrabouiller par la puissance de feu turque ? On s’indigne du retour gagnant de la Russie de M. Poutine sur la scène internationale : pensait-on que ce dernier avait en tête autre chose que l’intérêt de son pays ?
L’attitude russe est d’ailleurs exemplaire. Quand la diplomatie française, en l’occurrence fort peu diplomate et par avance contre-productive, frappe d’anathème ceux qui ne lui conviennent pas et singulièrement M. El Assad, M. Poutine parle avec les représentants de tous les Etats concernés, ceux de la région (Turquie, Iran) et ceux d’ailleurs (Etats-Unis, Etats européens).
Là où les Européens se sont stupidement enflammés pour le printemps arabe syrien, la Russie a fait preuve de cohérence et de persévérance dans son engagement aux côtés de l’allié syrien. Sachant ce qu’il voulait (maintenir une présence militaire indispensable pour retrouver une stature de puissance de premier plan), M. Poutine n’a rien lâché et a au contraire profité des opportunités fournies par les Américains eux-mêmes pour occuper le terrain laissé vacant (volte-face de M. Obama qui en août 2013 décide de ne pas bombarder la Syrie ; annonce de M. Trump qui en octobre 2019 décide de rapatrier ses troupes).
Voilà qui contraste avec le bilan de l’engagement des Européens en Syrie – même si les opérations contre l’Etat islamique étaient parfaitement justifiées.
Ce qui plombe les deux seules puissances militaires européennes qui comptent un peu, la France et la Grande-Bretagne, c’est non seulement d’évidentes insuffisances sur le plan militaire, faiblesse qui pourrait n’être que conjoncturelle et à laquelle on pourrait remédier si on en avait la volonté politique, mais aussi, et surtout, un attachement forcené à la défense de « valeurs » qui n’ont rien à voir avec la défense de leurs intérêts. Leur appartenance à une Union européenne, veule et impuissante par nature, aura dans les deux cas constitué un facteur aggravant.
Ainsi, un siècle après avoir été les maîtres d’oeuvre de la reconfiguration du Proche-Orient post-ottoman, anesthésiés par une vision idéologique de la situation géopolitique et cantonnés du fait de leurs moyens au rôle de supplétifs des Etats-Unis, Français et Britanniques en sont réduits à accepter la politique du fait accompli. C’est malgré eux, et de toute façon sans eux, que l’Histoire est en train de s’écrire : tandis que, comme il se doit, chacun joue son jeu et poursuit ses objectifs, les Européens assistent, impuissants et médusés, à une partie dont ils (se) sont exclus. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
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Article tout à ,fait remarquable d’intelligence et d’équilibre.