Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
On peut penser que ce n’est pas grave et que les « vrais » sujets d’inquiétude ne manquent pas par ailleurs.
Pour autant, et dans la mesure où il s’inscrit, quoi que le principal intéressé en dise, dans la lignée de l’appel à une VIe République lancé jadis par M. Montebourg et naguère par M. Mélenchon, le manifeste pour un régime présidentiel que constitue le dernier livre de M. Hollande, véritable brûlot contre les institutions de la Ve République, n’est pas sans danger.
Chef de l’Etat pendant cinq ans, incapable de se montrer à la hauteur de sa fonction, tellement conscient de la chose qu’il ne s’est pas représenté en 2017, M. Hollande signe en effet Répondre à la crise démocratique avec, et ce n’est pas anodin, la participation de Terra Nova. Ses principales propositions, qui visent finalement à l’abaissement du rôle qui fut le sien, ont déjà fait l’objet, sur le fond, des critiques de plusieurs spécialistes du droit constitutionnel, lesquels en ont souligné les difficultés de mise en oeuvre et, surtout, les dangers et inconséquences.
On attend d’abord d’un politique qu’il garde les pieds sur terre, en l’occurrence qu’il ne méconnaisse pas à ce point les caractéristiques historiques qui expliquent l’exception française dans le monde démocratique occidental.
L’Histoire nous montre assez le rôle délétère qu’ont pu jouer les Parlements de l’Ancien Régime, les Assemblées révolutionnaires ou les Chambres de la IVe République. Aussi faut-il considérer que ce n’est pas un des moindres mérites des institutions de la Ve d’avoir voulu limiter les prérogatives du Parlement et privilégier dans la mesure du possible la fonction de Chef de l’Etat, s’inscrivant ainsi dans une tradition française qui reste, quoi qu’on en pense, profondément « monarchique » – ce qui explique sans doute la longévité desdites institutions et le consentement qu’elles suscitent.
Demander l’instauration d’un régime présidentiel à l’américaine, c’est feindre d’ignorer, ou ignorer vraiment (pour un ancien élève de l’ENA, ce n’est pas impossible), que France et Etats-Unis sont essentiellement différents dans leurs parcours historiques.
Rappelons que le régime présidentiel des Etats-Unis reflète clairement le désir originel des Etats américains fondateurs de se préserver au mieux du pouvoir fédéral en encadrant, voire en minorant, les compétences et la durée du mandat du président. D’où une forme de double légitimité entre la Maison Blanche et les deux assemblées qui forment le Congrès. [Photo] Ce serait une grave faute de s’en inspirer pour dissocier complètement en France le législatif et l’exécutif et opérer ainsi un rééquilibrage au profit du Parlement.
Qu’il soit selon les uns « semi-présidentiel » ou les autres (en l’occurrence Michel Debré) « parlementaire rationalisé », le régime actuel, malgré toutes ses faiblesses, conserve une cohérence. Il reste certes fondé sur un affrontement politicien permanent (et en cela, il montre ses limites) mais une prévalence certaine reste accordée au Chef de l’Etat.
Les apprentis-sorciers du parlementarisme se gorgent de la notion de « compromis » auquel devraient forcément se résoudre chacun des deux pouvoirs. Il ne faut pas oublier qu’avant d’être président de la République (2012-2017), M. Hollande a été premier secrétaire du Parti socialiste (1997-2008). Sans doute est-ce là qu’il a acquis ce goût pour la combine, pour les arrangements, pour les compromis(-sions). N’oublions quand même pas qu’en l’absence de compromis, ce serait le désordre dans l’Etat, donc dans le pays, et peut-être le chaos. Certains pourraient alors songer à l’exemple de Louis-Napoléon Bonaparte (1848-1852) – ce ne serait peut-être pas la pire des issues. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
© JSF Peut être repris à condition de citer la source
Excellent article comme le dernier que j’ai lu. Merci à M. Delanglade.
Analyse claire et documentée comme d’habitude de M. Delanglade. Si je peux me permettre de préciser qu’aux USA, il s’agit d’un régime principalement bipartite ou bi partisan avec une administration liée au président en fonction, administration qui démissionne à chaque changement de président. Chose impossible dans notre pays dans la mesure où la colonne vertébrale du régime est la permanence des pouvoirs publics, de l’administration d’Etat … et des hauts-fonctionnaires qui « font tourner la boutique »!
« Napoléon IV » pointe le Spoil System américain. (Système des dépouilles). C’est juste. Nous ignorons cette pratique. Et c’est une différence notable entre les deux systèmes français et américain.
Il n’est pas question d’appliquer en France le régime américain .
Il est cependant intéressant de noter qu’il y a eu , chez eux, un débat durant la mise en place de la constitution qui a envisagé la possibilité d’une monarchie .
Certains aspects des pouvoirs de leur président viennent de là .
Il y a en outre , malgré la forte influence des Lumières , un aspect du régime américain qui correspond au régime mixte aristotélicien , avec entre autres , une pondération de la démocratie ( chambre des représentants) par une sorte d’aristocratie ( sénat).
Enfin le débat suscité par les droits de l’homme français a été vif et le succès de Burke aux USA a été durable chez les conservateurs traditionnels .