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Nous avons publié cet article (un Lundi de Louis-Joseph Delanglade) il y a deux ans, précisément le 9 octobre 2017 au plus fort de la précédente crise catalane et, comme il était à prévoir, dans le fond, peu de choses ont changé depuis lors. L’analyse qui suit, même si les protagonistes ont en partie changé, éclaire tout aussi bien les tout récents rebondissements de la crise catalane. C’est de ceux-là qu’il faudrait dire qu’ils rappellent furieusement les années les plus sombres, non de notre histoire, mais de celle de l’Espagne. Celles qui suivirent la chute de la monarchie et l’avènement de la seconde république espagnole. Puis la guerre civile, fatale. JSF
Par Louis-Joseph Delanglade
L’Histoire en a décidé ainsi : mieux qu’espagnole, la Catalogne est l’Espagne elle-même, au même titre que sont l’Espagne toutes les provinces et communautés autonomes du royaume.
Elle jouit à ce titre d’une liberté et d’une marge de manoeuvre inconnues des « régions » de France. Encore un coup : elle est riche et prospère et tire l’essentiel de cette richesse et de cette prospérité de son hispanité même, car c’est bien avec le reste du pays qu’elle entretient l’essentiel de ses rapports commerciaux et financiers.
Pourtant tout se passe comme si une clique d’endoctrinés fanatiques avait réussi à convaincre une partie importante, quoique minoritaire, de la population catalane que Madrid est l’ennemi et que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes catalan. Le « catalanisme », folie sectaire ou dérive nationalitaire, est manifestement vécu comme une mystique et les Catalans non indépendantistes réduits au silence par des anathèmes définitives (« traîtres », fascistes »), ce qui rappelle furieusement les pratiques des révolutionnaires français ou des partis communistes.
La faute du gouvernement de Madrid aura été de négliger cet aspect irréductible du mouvement, de penser qu’une succession de pressions suffirait à désarmer la crise et de laisser se mettre en place un processus qui semble échapper désormais à tout contrôle. D’où cette « bataille d’irresponsables » selon l’expression (pour une fois satisfaisante) de M. Guetta (France Inter, 2 octobre) entre MM. Rajoy et Puigdemont. En fait, on ne négocie pas avec des jusqu’au-boutistes radicalisés manifestement prêts à entraîner « leur » Catalogne fantasmée dans une fuite en avant suicidaire,
Répressif ou conciliant, le gouvernement de Madrid a et aura toujours tort aux yeux des indépendantistes, ce qui « oblige » le roi d’Espagne à user de ses prérogatives. Felipe VI a donc parlé. Discours de bonne facture et ferme dans la forme, « acte fort » (LFAR, 4 octobre). Certains regretteront sans doute qu’il ait peut-être trop attendu et pu donner ainsi l’impression de simplement prendre parti : chef de l’Etat, il était de son devoir de pallier au plus tôt l’inconsistance politique de M. Rajoy, non pas pour menacer la Catalogne à travers sa minorité indépendantiste au nom du « droit », de la « démocratie » et de la « constitution » (termes déjà utilisés par M. Rajoy) mais plutôt pour exalter l’Espagne et en appeler à tous les Catalans.
Madrid dispose de moyens de pression et d’intervention tels (d’ordre politique et économique mais aussi policier et militaire ou encore judiciaire) qu’on a du mal à imaginer que la Généralité de Catalogne puisse aller au-delà d’une simple déclaration d’indépendance qui restera lettre morte. Il n’empêche : avec la Catalogne, c’est l’Espagne qui est au bord du précipice. Les événements montreront vite si Felipe VI n’est que le rempart de la légalité ou s’il incarne la légitimité de toute l’Espagne. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis de Louis-Joseph Delanglade.
© JSF Peut être repris à condition de citer la source
Avant toute chose, il faut apprécier les qualités de concision et de rédaction de M. Delanglade; c’est toujours un plaisir de le lire.
Il faut cependant ajouter une chose essentielle en ce qui concerne l’Espagne: elle est une fédération d’Etats souverains. Et c’est cette monarchie constitutionnelle et fédérative qui fait la Couronne d’Espagne. Le régime des Provinces que nous connaissions en France sous l’Ancien régime, demeure dans le fonctionnement quotidien des provinces / autonomies espagnoles quand bien même, on parle du Royaume d’Espagne dans sa globalité. Quant à la Catalogne qui se croit riche et capable de la plus grande des autonomies, à savoir l’indépendance, n’est en fait qu’un miroir aux alouettes que l’Union européenne (y compris l’Espagne, amputée de la Généralité ou République de Catalogne) aurait vite fait de mettre au pas en l’isolant politiquement, financièrement, économiquement et geopoliquement tout simplement en ne reconnaissant pas ce crypto-Etat.
Quant au Roi, à mon avis et selon les prérogatives qui sont les siennes et délimitées par la Constitution, il devrait prendre l’exemple de son père et être moins effacé. Mais là, l’Histoire a fait son œuvre et il n’a pas la même que son père.
Le jusqu’au-boutisme des républicains catalans et la fausse autorité de Madrid risque de faire sombrer l’Espagne dans une anarchie que nous ne connaissons pas en France et surtout, entraînerait une nouvelle guerre civile…