Ces rubriques de JSF (Dans la presse et Sur la toile) répondent à la nécessité de ne pas se satisfaire de l’entre-soi. D’être familiers des analyses et de la pensée de ceux qui nous entourent, parfois très proches, parfois opposés.
Nous nous y enrichissons et souvent nous créons par là des relations qui portent des fruits. Car nos idées, nos articles, eux aussi séduisent, bien au-delà de nos cercles. Ainsi, d’ailleurs de Zemmour, à l’évidence. Parfois autant – ou mieux – Action Française que nous ! Il salue ici le départ de Draghi de la présidence de la BCE bien plus que l’arrivée de Christine Lagarde qui pourrait bien se réduire à n’être que la victime expiatoire de la politique de son prédécesseur. Le talent, le charme italien en moins. Zemmour a raison de les évoquer, en faisant, là encore, appel à l’Histoire. Nous avons nous aussi connu dans le passé ce type de charmeurs – pas forcément italiens – qui ruinèrent l’Etat et nombre de citoyens par une politique économique et financière faite d’artifices, dont la dette illimitée, massive, non-soutenable, et la création monétaire qui lui correspond. [Figaro magazine du 25.10). JSF
« Faut-il sauver les canards boiteux ? »
Il va nous manquer. Son charme, son intelligence, sa vivacité.
Même les adversaires irréductibles de l’euro, et ceux de sa politique à la Banque centrale européenne (ils ne sont pas forcément les mêmes), le reconnaissent volontiers : Mario Draghi, surnommé « Super Mario » par la presse financière anglo-saxonne, s’est montré un esthète et un artiste, un grand politique dissimulé sous les habits de banquier. L’homme à qui succède cette semaine Christine Lagarde a été une sorte de Mazarin des temps modernes : à l’époque, l’école de formation s’appelait le Vatican ; aujourd’hui, la nouvelle Rome est Goldman Sachs ; mais le génie italien reste le même, c’est-à-dire cet esprit de finesse qui s’oppose presque parfaitement à l’esprit de géométrie de son prédécesseur, « notre » Jean-Claude Trichet : les stéréotypes nationaux (les fameux « préjugés » que nos modernes haïssent à l’égal du péché) ont du bon et du vrai.
L’Histoire dira sans doute que le président Draghi a sauvé l’euro lorsqu’en pleine crise grecque, il a ajouté devant des journalistes médusés, « nous ferons tout ce qui est nécessaire ». Une petite phrase de son cru, ajoutée au dernier moment, sans concertation ni délibération. Et il a tenu sa promesse, mettant en œuvre une politique qui n’était prévue ni au programme ni dans les statuts. Des rachats massifs de dette des États par la BCE. Une sorte de « planche à billets » géante, qui fait passer les tripatouillages monétaires de nos rois et de nos républiques pour de modestes bricolages. L’euro était sauvé, les pays du Sud à grosse dette (Grèce, Italie, France) soulagés ; mais les Allemands (et les Hollandais, et les Scandinaves) étaient fort mécontents. Et le faisaient savoir d’autant plus que cette imagination italienne débridée avait une conséquence perverse : l’écroulement des taux d’intérêt qui arrange bien les États endettés mais ruine les épargnants (en particulier les Allemands). Cette « euthanasie des rentiers » finit par déstabiliser tout le système bancaire européen, des banques dont la rentabilité s’effondre aux assurances-vie françaises en danger de mort.
C’est là où l’habileté et l’intelligence atteignent ses limites : l’euro n’a jamais réussi à devenir un vrai concurrent pour le dollar comme monnaie de réserve ; la croissance dans la zone euro est inférieure à celle des pays européens qui n’y sont pas ; et la convergence des économies de la zone est restée plus que jamais une chimère. Super Mario a évité un éclatement de la zone euro qui aurait fait d’énormes dégâts, mais a sauvé une monnaie commune sans budget commun (une première dans l’histoire monétaire universelle). Quand les Français proposent d’en créer un, les Allemands s’écrient comme l’Avare de Molière: « Ma cassette, ma cassette. » Des Allemands qui préfèrent placer leur épargne chez leurs voisins proches ou dans le monde entier plutôt que dans les pays du sud de l’Europe.
Draghi a sauvé l’euro, mais on peut lui poser la question qu’on pose aux gouvernements français qui protègent à coups de milliards des entreprises en difficulté : faut-il sauver les canards boiteux ? ■