Par Aristide Renou.
Imaginons Edouard Philippe en train d’adopter avec talent la posture et le ton exact pour évoquer l’incendie criminel de Chanteloup-les-Vignes.
Edouard Philippe mâchonnait nerveusement le capuchon de son stylo Mont-Blanc. C’était déjà son troisième café ce matin et l’inspiration ne venait toujours pas. Il fallait pourtant qu’il trouve, et vite, les équipes de BFMTV commençaient à s’impatienter.
La veille, un chapiteau de cirque valant 800 000 euros avait été incendié à Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines. Avant l’incendie, il y avait eu les habituels feux de poubelles, les pompiers et les forces de l’ordre qui tombent dans une embuscade, les tirs de mortiers, les dégradations de mobilier urbain, les incendies de voiture, bref, la routine quasi quotidienne, quoi. Mais avec ce gros chapiteau parti en fumée, cette énième « émeute urbaine » n’était pas passée inaperçue, comme on aurait pu l’espérer. L’image tournait en boucle sur les réseaux sociaux. Le président de la République avait exigé de son premier ministre qu’il fasse une déclaration bien sentie pour mettre fin à cette histoire qui pouvait devenir embarrassante.
Edouard Philippe avait donc réuni ses conseillers et leur avait communiqué la demande du président. Un silence embarrassé était immédiatement descendu dans la pièce. La lassitude et l’ennui étaient palpables. Dans son dos, quelqu’un avait même soupiré : « encore… »
« On est une start-up nation, oui ou merde ? »
Edouard Philippe s’était immédiatement retourné et avait vertement sermonné l’imprudent qui avait osé exprimer le sentiment général : « Eh bien oui, encore ! Et alors, Baliveau, vous croyez que ça m’amuse plus que vous ? Moi aussi j’en ai assez de devoir commenter toujours les mêmes faits. Les attaques de flic ou de pompiers c’est tous les jours, figurez-vous. Et moi aussi j’aimerais bien me consacrer à des choses plus sérieuses. Mais vous savez ce que dit toujours le président, non ? « Gouverner, c’est inventer ! ». Alors, sortez-vous les doigts et trouvez-moi quelque chose de nouveau et au trot ! On est une start-up nation, oui ou merde ? »
Baliveau avait regardé ses mocassins à glands avec un air contrit et les autres conseillers s’étaient mis à fixer intensément le plafond, comme si celui-ci pouvait être une source d’inspiration.
Puis l’un d’eux, qu’il ne se souvenait pas avoir jamais vu, avait pris timidement la parole : « Monsieur le Premier ministre, je dis peut-être n’importe quoi mais… si on disait la vérité, pour une fois ? Si on disait quelque chose du genre : « Ce qui s’est produit hier à Chanteloup n’est ni un hasard, ni un évènement isolé. Il s’agit d’actes de guerre. Certains territoires sont entrés en rébellion ouverte contre la France, qu’ils ne considèrent pas comme leur patrie, et ils tentent de faire sécession. Nous ne les laisserons pas faire. Nous reconquerrons de vive force chaque pouce du territoire national et la reconquête commence dès maintenant. Les forces de l’ordre ainsi que l’armée ont reçu toutes les instructions nécessaires en ce sens. »
Un vent de panique souffla sur l’assistance et tout le monde fixa celui qui venait de parler avec un air aussi horrifié que s’il se fut agi de Marlène Schiappa en train d’entamer un strip-tease.
Alain Juppé comme mentor
Heureusement, Edouard Philippe conserva assez de sang-froid pour appuyer vivement sur un timbre dissimulé sous son bureau. Aussitôt les hommes du service de sécurité firent irruption dans la pièce. Sur un signe du Premier ministre ils plaquèrent au sol le mauvais plaisantin avec un grand « Boum ! » puis ils l’emportèrent avant que celui-ci ait eu le temps de penser à protester.
Depuis hier soir le type était en garde-à-vue et demain il serait inculpé d’atteinte à la sûreté de l’Etat, puis incarcéré au secret dans la prison ultra-sécurisée de Condé-sur-Sarthe, avec instruction donnée au directeur de le mettre dans la même cellule que le prisonnier le plus dangereux de l’établissement. Normalement on ne devrait plus en entendre parler, mais on l’avait échappé belle. En repensant à la scène, Edouard Philippe se félicita encore de ses excellents réflexes. Ce n’est pas pour rien qu’il avait eu pour mentor Alain Juppé. Mais bon, tout ça ne lui donnait pas les « éléments de langage » que lui avait demandés le Président…
Avec un soupir il se remit à chercher. Il pensa à Tintin. Il aimait bien Tintin, et particulièrement le capitaine Haddock, auquel, parait-il, il ressemblait assez. « Et si je disais : « Ceux qui ont fait cela sont des moules-à-gaufres et des bachi-bouzouks, des pithécanthropes et des anacoluthes. » ? » se demanda-t-il ? Mais il se ravisa. Tintin c’était sans doute un peu trop littéraire pour les Français d’aujourd’hui. Les gens risquaient de ne pas comprendre l’allusion. Et puis il s’était laissé dire que les éditions Moulinsart étaient très à cheval sur le copyright. Tout ça coûterait sûrement un pognon de dingue.
A regret il abandonna Tintin. C’était dommage. Il aimait bien, vraiment. D’ailleurs à chaque fois qu’il croisait Marlène Schiappa il ne pouvait pas s’empêcher de penser à la Castafiore. Il s’était même surpris plusieurs fois à fredonner l’air des bijoux en sa présence. Heureusement, l’autre n’avait rien compris. Pas Tintin, mais quoi alors ?
Galapiat, galopin ?…
Sacripant ? Galapiat ? Hum… pas mal, mais trop désuet. Le Français d’aujourd’hui a appris à écrire en étudiant des modes d’emploi d’aspirateur traduits à partir du chinois et il se distrait en regardant Cyril Hanouna, ne l’oublions jamais. Et ce vieux filou de Blanquer qui ose prétendre que le niveau remonte ! Il ne manque pas de toupet, l’animal ! Et un aplomb, un air sérieux pour débiter ses carabistouilles… pas étonnant que ce soit le chouchou du président celui-là…
Edouard Philippe reprit le fil de ses pensées. Il était en train de s’égarer, là. Il fallait qu’il trouve, et vite. Galopin ? Ça lui semblait bien. C’est joli, galopin, et puis, dans le fond, cela traduisait bien son sentiment. Tout ça ce sont des histoires de gamins un peu turbulents, pensa-t-il, rien de plus. Pourquoi faut-il donc qu’on fasse autant de bruit pour si peu de chose ? Mais non, il sentait que le Président ne serait pas d’accord avec « galopin ». Ca ne cadrait pas avec son nouveau plan com’ axé sur le régalien.
Ah, mais bon sang, ça commençait à bien faire ! Voilà plus d’une heure qu’il se torturait vainement les méninges à cause de ces imbéciles !… Eh, mais… « imbéciles », voilà qui était pas mal du tout… Oui, c’est ça, une bande d’imbéciles, voilà ce qu’il dirait. C’était juste bien, les gros yeux, mais pas trop. Ce qu’il faut pour contenter le Français moyen, mais sans provocation non plus, on ne sait jamais… Et puis aucun amalgame, surtout. D’ailleurs il dirait « une petite bande d’imbéciles », pour bien rappeler que ces actes étaient le fait de loups totalement solitaires. Et puis tiens, il rajouterait même « irresponsables », parce c’est vrai, ces jeunes-là étaient totalement irresponsables. Il ne se rendaient donc pas compte qu’ils faisaient le jeu du Rassemblement National avec leur gamineries ?
« Une petite bande d’imbéciles et d’irresponsables », c’était parfait.
Il se rappela cette confidence que lui avait faite le président, un jour : « Tu vois Edouard, certains disent que gouverner c’est prévoir, d’autres que gouverner c’est choisir. Foutaises ! Carabistouilles ! Poudre de perlimpimpin ! De nos jours, Edouard, gouverner c’est euphémiser. Tu euphémises, toujours. Et ceux qui tentent de dire les choses comme elles sont, tu les regardes droit dans les yeux et tu les accuses de faire monter les extrêmes. Et si ça ne suffit pas, tu les envoies devant la 17ème chambre correctionnelle. Hein ? Comment crois-tu que j’ai été élu ? », avait-il conclu avec un grand sourire. Edouard Philippe était satisfait. Il pouvait convoquer les journalistes de BFMTV. Le président serait content de lui. ■
J’avoue ne pas comprendre cette hystérie médiatique et politique chaque fois que quelques centaines de voitures brûlent ou que l’on tente d’incinérer quelques policiers à coups de cocktails Molotov dans nos banlieues diversitaires où prospèrent les joies du vivre ensemble dans le respect de toutes nos différences. Les sociologues de gauche (pardonnez-moi ce pléonasme) nous expliquent pourtant fort bien qu’il ne faut voir là que des activités ludiques guère différentes de ces jeux de cours d’école où l’on s’amuse aux gendarmes et aux voleurs. Et puis, jeter une bouteille d’essence enflammée sur une voiture de police, n’est-ce pas la formulation d’une demande désespérée de dialogue, si souvent hélas refusée par les autorités ? Mais je suis également tenté par cette autre explication venant cette fois-ci d’encore plus à gauche : comme il y a en France un racisme d’État dont les policiers et pompiers et enseignants sont les représentants, la présence de ces derniers dans les banlieues n’est-elle pas une forme de provocation et de violence symbolique fleurant bon le racisme et l’islamophobie ? Je rappelle à ce propos qu’il ne faut surtout pas manquer l’appel à manifester dimanche contre l’islamophobie en compagnie de nos amis Frères Musulmans qui seront au coude à coude avec tout ce que la France compte d’esprits éclairés de gauche, extrême-gauche, ultra-gauche et gauche de la gauche. Entre ces deux explications des événements récents j’avoue que mon cœur balance. Pour me faire enfin une opinion, je vais relire Bourdieu et ses disciples et les œuvres complètes de Danièle Obono de la France Insoumise.