Par Jacques Léger.
L’un de nos amis marseillais qui a bien voulu nous confier en exclusivité le fruit de ses recherches sur l’arrivée en France de la girafe Zarafa, un animal royal, populaire et diplomatique. Une suite en 10 épisodes. À paraître à partir d’aujourd’hui et les jours suivants. JSF
C’est à Charles X que les Français doivent d’avoir pu voir, pour la première fois, une girafe vivante. Elle s’appelait Zarafa. Les Marseillais furent les premiers à l’admirer, en octobre 1826. Elle passa avec eux tout l’hiver. Au printemps 1827, ce fut le tour des aixois, des avignonnais, des lyonnais, des parisiens, et enfin du Roi lui-même.
En évoquant à grands traits son histoire, on rencontrera une attraction populaire, un sujet d’études scientifiques mais aussi un authentique personnage diplomatique.
Au commencement étaient deux personnages : un italien devenu français et même consul de France en Egypte, et le maître de l’Egypte de l’époque.
Faisons d’abord la connaissance du consul. C’est un personnage plus fascinant que sympathique. C’est un aventurier, sûrement séduisant, plus sûrement encore ambitieux, cupide et opportuniste. La période bouleversée que Napoléon fait vivre à l’Europe va servir son ambition.
Né à Turin en 1776 dans une famille de notables, il s’appelle Bernardino Drovetti. A 20 ans, il abandonne ses études de droit pour s’engager dans l’armée française et participer à la campagne d’Italie. Remarqué par Bonaparte, il tire profit de son bagage de juriste pour se faire nommer intendant militaire. C’est dans ces fonctions qu’il accompagne les troupes françaises en Egypte. Il y reste après le départ de Bonaparte qui le nomme, en 1802, sous-commissaire des relations commerciales à Alexandrie. Il est chargé, mission éminemment diplomatique, de rétablir avec l’Egypte des relations rompues depuis le départ de l’armée française, qui a été chassée par les Anglais.
L’Egypte est alors ruinée et en proie à la guerre civile. Drovetti a le talent de percevoir en Mehemet Ali, – dont nous parlerons dans le prochain épisode puisque il est notre 2e homme -, le futur dirigeant de l’Egypte, ce qu’il deviendra dès 1805 et pleinement à partir de 1810.
En 1814, Drovetti le bonapartiste de toujours est révoqué suite à la chute de Napoléon et l’avènement de Louis XVIII. Il décide de rester en Egypte, et de se consacrer à ses recherches d’antiquités pharaoniques. Depuis 1807 en effet il a commencé de réunir d’importantes collections d’antiquités. Pour cela, il a recruté des informateurs et obtenu des permis de fouille, ce qu’a probablement facilité son appartenance à la seule loge maçonnique du pays, dénommée « la Société secrète égyptienne ». Il a commencé de revendre ses découvertes au gré de ses nécessités financières.
Profitant de la passion pour l’égyptologie qu’a fait naître, partout en Europe, l’expédition de Bonaparte, Drovetti va devenir le plus gros fournisseur en antiquités égyptiennes. On lui doit la majeure partie de la collection du Louvre, la totalité de celle de Turin et une grande part de celles de Berlin. Seuls les Anglais, qui ont sur place un consul, Salt, aussi entreprenant que le nôtre, se passent de ses services pour doter le British museum.
Drovetti, homme d’affaires inspiré, a une autre spécialité commerciale : la fourniture aux cours et jardins zoologiques d’Europe d’animaux exotiques : gazelles, autruches, chevaux arabes et même un éléphant.
Il s’enrichit ainsi considérablement mais souhaite obtenir un statut public prestigieux pour couronner sa fortune. En un mot il souhaite redevenir le correspondant officiel de la France en Egypte. C’est impossible puisqu’il est piémontais et que depuis 1814 le Piémont n’est plus en France. Impossible ? Non. Pour Drovetti, tout est possible. Grace à de puissants appuis en France, liens maçonniques ou corruption, il obtient sa naturalisation en 1819 et la Légion d’honneur en prime. 18 mois plus tard, le Gouvernement français le nomme consul général de Sa Majesté Très Chrétienne dans la vallée du Nil (ce qui est l’équivalent d’ambassadeur de France en Egypte).
Sous ce rapport, il n’a pas suscité que des éloges. Certes Chateaubriand l’évoque avec émotion : « J’ai contracté avec M. Drovetti une liaison qui est devenue une véritable amitié ». Il est vrai que Drovetti lui a offert un cadeau peu commun, un négrillon, nommé Morgan, dont les parents ont été égorgés par les soldats du Pacha. Ce jeune enfant jouera avec le petit comte de Chambord.
Mais à l’inverse, Champollion, dans une lettre d’Egypte, dira de Drovetti : « J’estime fort peu son caractère politique et sa conduite en Egypte, où il ne s’est occupé que de ses intérêts liés à ceux du Pacha, sans donner le moindre soin aux nationaux qu’il était payé pour protéger ».
Il est, en effet, très lié au Pacha. Il le comble de cadeaux, lui prodigue des conseils et gagne sa confiance.
En 1824, à l’avènement de Charles X et alors que l’affaire grecque s’envenime chaque jour, il pressent que Mehemet Ali, avec son aide, pourrait jouer avec profit une carte française. (À suivre, demain) ■
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