Par Jacques Léger.
L’un de nos amis marseillais qui a bien voulu nous confier en exclusivité le fruit de ses recherches sur l’arrivée en France de la girafe Zarafa, un animal royal, populaire et diplomatique. Une suite en 10 épisodes. Parution à partir du 19 novembre et les jours suivants. JSF
Le bateau jette l’ancre à l’entrée du vieux-port de Marseille le 23 octobre 1826 mais il doit rester en rade 8 jours, le temps pour l’administration de trouver l’argent nécessaire à l’entretien de la girafe et de ses compagnons et de coordonner les interventions des intendants de la santé publique de Marseille.
Le 31 octobre, Zarafa débarque enfin, mais sans poser le sabot sur le quai. Un bateau de pêche vient en effet la chercher, ainsi que toute la ménagerie, pour les conduire au lazaret. Dix ans plus tôt, Marie-Caroline, future Duchesse de Berry, et donc belle-fille de Charles X, avait dû elle-même se soumettre à cette quarantaine sanitaire alors qu’elle arrivait de Sicile. Pour la duchesse, elle avait duré 15 jours, pour la Girafe à peine plus, 17 jours.
Sortie du Lazaret (Image), Zarafa est maintenant en France mais encore loin de son but. A Marseille, un homme important l’attend : le préfet des Bouches du Rhône, Christophe de Villeneuve-Bargemon. Il a 55 ans, il est conseiller d’Etat et appartient à une grande famille provençale qui compte nombre de personnages illustres, en particulier une sainte, sainte Roseline, patronne de la Provence.
Fonctionnaire érudit et zélé, il est à l’origine de la restauration du théâtre romain d’Arles et de la construction de l’arc de triomphe de la porte d’Aix. Mais c’est surtout son ouvrage « Statistique du département des Bouches-du-Rhône », qui a assis sa renommée administrative, et auquel peut-être il doit d’avoir donné son nom à l’un des emplacements les plus prestigieux de Marseille. Cet ouvrage est consultable sur Internet, il est réellement étonnant par son caractère encyclopédique.
Mais aujourd’hui, il ne nous intéresse qu’en tant qu’autorité chargée de l’accueil de Zarafa. Il va prendre ce rôle très au sérieux et même très à cœur.
Quand il parle de Zarafa, c’est tantôt sa fille adoptive, tantôt sa filleule. Il a fait construire pour elle une écurie en bois à sa mesure dans l’une des cours de la préfecture. Il ne s’agit pas de l’actuelle, construite sous Napoléon III, celle de l’époque était rue Montgrand, dans des bâtiments aujourd’hui occupés par un lycée. (Photo)
On l’y accueille de nuit. Pourquoi ? Parce que la rumeur de l’arrivée de la girafe a fait naître dans une partie du peuple la crainte d’un animal monstrueux. On évoque même une nouvelle Tarasque. Le préfet, responsable de l’ordre public et de la sécurité de la girafe du roi, veut prévenir tout risque d’émeute ou d’attentat. Donc, les vaches arrivent à la préfecture dans la journée du 14 novembre et Zarafa à 11 heures du soir, accompagnée de ses bergers arabes, qui sont logés avec elle. L’un d’eux couche dans un hamac suspendu à hauteur de la tête de Zarafa (3 mètres 50) pour la surveiller et la caresser entre les cornes.
Villeneuve-Bargemon rend compte aussitôt à son ministre du bon déroulement des opérations : « La Girafe est fort belle et a très bien commencé à reprendre au Lazaret sa première vigueur, que la traversée de mer avait un peu altérée ». Il profite du même courrier pour renouveler la demande de crédits pour « préserver de tout dépérissement un aussi intéressant objet d’histoire naturelle ». Il enchaîne logiquement en demandant des instructions de MM. Les Professeurs du Museum et conclut en évoquant « la translation de la Girafe à Paris » tout en concédant que « comme nous ne saurions y penser avant le mois de mai, nous avons le temps de tout prévoir et régler d’avance ». (À suivre, demain) ■
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