Par Jacques Léger.
L’un de nos amis marseillais qui a bien voulu nous confier en exclusivité le fruit de ses recherches sur l’arrivée en France de la girafe Zarafa, un animal royal, populaire et diplomatique. Une suite en 10 épisodes. Parution à partir du 19 novembre et les jours suivants. JSF
Le départ s’effectue le 20 mai, à la pointe du jour. C’est sans doute le premier convoi exceptionnel sur la future nationale 7. Les deux gendarmes à cheval devancent Zarafa de 500 mètres pour arrêter les voitures et chariots. Les vaches précèdent la girafe, Leur présence n’est plus justifiée par un rôle alimentaire mais par la constatation que la girafe n’acceptait de marcher que dans les pas de ses anciennes nourrices. Geoffroy Saint-Hilaire la suit dans une voiture qu’il a fait acheter en dernière minute, car il souffrait de rhumatismes.
Le jour même, le convoi, qui chemine à une vitesse moyenne de 4 km/h, parvient à Aix, où il déclenche l’enthousiasme. Zarafa arpente le Cours, pénètre dans l’hôtel du Premier Président et fait une station rue Lacépède devant la maison de M. le Maire.
La foule est considérable. Un témoin note : « On applaudissait quand elle daignait brouter les fleurs des vases exposés aux fenêtres des premiers étages ». On doit recommencer l’exhibition le lendemain.
Mais le métier de montreur de girafe n’est pas simple. Geoffroy Saint-Hilaire s’en explique dans une lettre au préfet : « La population fut insatiable et la girafe a été plus fatiguée de ses occupations au repos que de la journée de marche ». Et il ajoute : « Je me suis aperçu que la donner en spectacle à tout le public, ce n’était l’accorder qu’à cette classe laborieuse, forte de tempérament, d’humeur et de puissance à disputer et à garder les premiers rangs. Il m’a donc fallu faciliter par d’autres moyens le spectacle à la classe discrète et bien élevée de la Bourgeoisie : double travail pour la pauvrette ».
La politique ne perdant jamais ses droits, le préfet a donné instruction de faire peindre d’un côté les armes de France, de l’autre celles du Pacha sur l’enveloppe de toile cirée dont l’animal est couvert en voyage. C’est désormais une girafe vraiment royale.
Le 27 mai, l’actualité internationale s’invite dans l‘aventure : les troupes ottomanes investissent l’Acropole. Athènes est tombée aux mains des Turcs.
Ce n’est pas sans conséquence sur le jugement de certains sur Zarafa. Un journaliste du Messager fait ce commentaire : « Grâces soient rendues à Mehemet Ali ; il sait que les petits présents entretiennent l’amitié ; il nous envoie des quadrupèdes à défaut d’oreilles de Grecs ». Les Turcs étaient en effet accusés de couper les oreilles des insurgés grecs et de s’en faire des colliers.
A l’approche de Lyon, Geoffroy Saint-Hilaire exprime de l’inquiétude. La girafe lui paraît lasse de la monotonie des étapes et il redoute l’agitation de la grande ville. En conséquence, il ralentit le cheminement et adresse au ministre une longue lettre. Empruntée, alambiquée, obséquieuse, elle révèle la fatigue nerveuse de son auteur. En voici le premier alinéa : « Une profonde et légitime déférence pour le ministre d’un grand royaume me fait craindre de parler à votre excellence d’une affaire d’un détail disproportionné aux grandes affaires que vous dirigez ; cependant, en vous demandant excuse d’avoir cru à la nécessité de vous adresser ce rapport, je prie votre excellence, Monseigneur, d’avoir la bonté de n’en être point importuné ». Tout ce charabia, sur 3 pages, pour suggérer que la girafe soit embarquée sur la Saône à Lyon et débarquée à Chalon, ce qui lui donnerait quelque repos. Il conclut dans le même ton : « C’est, Monseigneur, à votre excellence de prescrire. Si je ne recevais aucun ordre, je suivrais la route de Bourgogne ».
En vérité, il semble bien que la girafe se portait à merveille mais qu’en revanche la santé de GSH se dégradait progressivement. En plus de ses rhumatismes et de sa goutte, il endurait une crise d’urémie, ce qui l’obligeait à voyager le plus souvent assis. C’est donc lui qui aspirait à un épisode moins fatigant. (À suivre, demain) ■