Je Suis Français s’attache à publier des textes, des analyses, des documents, choisis à raison de leur importance. Qu’est-ce qui est important ? Ce qui concerne les intérêts majeurs de la France et des Français, ce qui, de ce point de vue, pose les questions cruciales, s’affronte aux problèmes les plus vitaux, propose si possible des solutions, etc. Et enfin, est important tout ce qui concourt à définir une ligne politique française ou si l’on préfère, une politique d’action française. C’est dire que les textes que nous publions, repris de la toile ou de la presse, ne sont pas un amoncellement mais une sélection.
Ainsi avons-nous lu avec un certain effroi, il faut l’avouer, le grand entretien publié dans Le Figaro magazine du 29 novembre avec Boualem Sansal et Pierre Vermeren. Grand entretien réalisé par Alexandre Devecchio et qui traite à la fois de la situation algérienne, véritable bombe à retardement potentielle (pour l’instant) aux conséquences gravissimes pour la France ; et d’autre part de la conquête de l’Islam, en cours à l’échelle européenne et planétaire. De sorte que, peut-être sans le savoir encore, la France est aujourd’hui un pays en guerre. On dirait à cette heure, selon le mot devenu à la mode, que, aussi avertis que nous pouvons l’être déjà, la lecture de cet entretien, constitué de faits, d’analyses et d’informations, est glaçante. Nous n’y rajouterons rien de plus. Mais il faut lire ! JSF
LE FIGARO MAGAZINE. – Huit mois après le «printemps algérien», où en est l’Algérie ? Le processus électoral en cours est-il démocratique et transparent? Pourquoi les Algériens sont-ils divisés? Cela va-t-il, malgré tout, dans le bon sens ?
Boualem SANSAL – L’Algérie vit dans le drame depuis son indépendance, lorsque le colonel Boumediene, chef de l’armée des frontières, s’est emparé du pouvoir et a placé son homme, Ben Bella, à la présidence de la République et son secrétaire particulier, Bouteflika, à la tête du puissant ministère des Affaires étrangères. La Constitution de l’Algérie venait de s’écrire là pour toujours.
A mon avis, les Algériens ne sont pas si divisés, il est difficile de l’être dans une dictature qui sanctionne durement tout écart. En 1988, des foules fanatisées par des prédicateurs saoudiens et égyptiens qui préparaient la révolution islamique mondiale, ont occupé la rue, persuadées d’avoir trouvé l’arme absolue pour abattre le régime: l’islamisme. Mauvaise pioche, la chose nous a explosé à la gueule, et in fine a renforcé la junte qui à nouveau s’est posée en sauveur de la patrie. Elle a même réussi à convaincre les gentils Européens qu’ils avaient besoin d’elle pour les protéger du terrorisme et continuer à vivre dans l’insouciance.
En 2019, les Algériens réoccupent la rue, mais de belle manière cette fois, ils n’invoquent ni Allah ni ses saints, leurs armes sont l’ibtissem (sourire) et la silmiyya (non-violence). Le chef de l’armée, Ahmed Gaïd-Salah (dit AGS), un homme ambitieux, brutal et corrompu, voit la chance de sa vie, à 79 ans passés, et profite du dégagisme ambiant pour se débarraser de Bouteflika et son clan et se poser en sauveur de la patrie. Enivré par son succès, il convoque la justice et jette en prison ceux qui lui déplaisent et tous ceux qui pourraient un jour rêver de lui disputer le pouvoir. Le peuple n’est pas dupe, les tueurs s’entre-tuent, c’est bon à prendre. On en est là. L’autre problème est l’économie qui est à l’agonie, mais c’est là une autre histoire qui pourrait bien être la plus dramatique de toutes.
Le 12 décembre, AGS aura son président de la République. C’est Tebboune [Abdelmadjid Tebboune, éphémère Premier ministre de Bouteflika, ndlr], son vieux complice. Le Hirak continuera mais le cœur y sera-t-il ? AGS sortira-t-il les blindés ? Entrerons-nous dans une nouvelle guerre civile ?
Pierre VERMEREN – Ce qui s’est déroulé depuis bientôt un an en Algérie a rassuré les Algériens sur l’état moral de leur société, et sur leur capacité à dire non, avec détermination et pacifisme, à un blocage politique devenu surréaliste depuis des années. Mais le pacifisme montre ses limites face à un régime militaire qui a peur de l’inconnu et de sa propre société, et qui est bien décidé à passer en force au nom de la «démocratie». Les Algériens ont tellement entendu de promesses qu’ils sont las. Il est évident qu’en cas de choc économique violent, on entrerait dans l’inconnu.
Qui tient aujourd’hui le pays : l’armée, les islamistes, un mélange des deux ?
Boualem SANSAL.- Ce n’est pas l’armée, c’est AGS: il tient l’armée d’une main et l’Algérie de l’autre. Les islamistes observent de loin en faisant des calculs. Ils ont évolué, le djihad à la bombe artisanale ne les intéresse plus, ils ont adopté l’islamisme à la française, à la turque, à la tunisienne. Costume et cravate obligatoires, c’est bac + 5 à l’entrée, ils font du business, de l’entrisme au plus haut niveau, du noyautage, de l’agit-prop, de la sape, occupent le terrain aux bons endroits, saturent les réseaux sociaux, mobilisent femmes et enfants, ferraillent dans les tribunaux, haranguent dans les amphis universitaires, organisent colloque sur colloque, préparent les cités à l’autodéfense, achètent des maires et des députés… L’islamiste nouveau est dans le management stratégique, la corruption d’affaires et la prise d’otage scientifique.
Pierre VERMEREN – Au lendemain de la guerre civile, le président Bouteflika, qui s’est fait élire en 1999 sur un programme de «réconciliation nationale» (sorte de «paix des braves»), a pris acte de la puissance sociale des islamistes. Il les a amnistiés en échange de leurs armes, leur accordant des licences, des emplois et des agréments divers. Entre le partage de la rente en interne et l’argent du Golfe, certains islamistes ont accumulé des fortunes, devenant des notables à attaché-case. N’oublions pas que leurs maîtres salafistes au Moyen-Orient, grâce à la rente pétrolière versée par l’Occident et l’Asie, volent en jet et plastronnent à Londres ou dans les grands magasins parisiens en dress code islamique et marques de luxe. Les grottes et les grandes barbes, c’est dépassé. De fait, sous la direction de l’armée, faute de réforme éducative et culturelle profonde, la salafisation de la société s’est poursuivi à bon train: à l’armée le pouvoir, aux islamistes l’idéologie. Entre les deux, le peuple algérien cherche une troisième voie.
En 1991, le processus électoral avait conduit à la victoire des islamistes puis débouché sur la guerre civile. Un tel scénario est-il complètement à exclure aujourd’hui ?
Boualem SANSAL – Il ne faut jamais rien exclure. Ceux qui en Algérie et en France sous-estimaient l’emprise islamiste sur la société se mordent les doigts aujourd’hui, les voilà comme les autres pris en otage, ligotés, muselés. L’islamisme, il faut le considérer dans sa dimension planétaire, historique et stratégique, pas seulement le vendredi devant la mosquée de son quartier!
Pierre VERMEREN – C’est exactement la même chose en France aujourd’hui. On regarde à Paris l’islamisme comme la résultante de la crise des banlieues ou un biais sociologique. Or, c’est la pièce d’un puzzle mondialisé, dont les donneurs d’ordres sont au Moyen-Orient. Aucune élection dans le monde arabe ne se déroule sans le transfert de valises (ou de containers) de billets de banque en provenance du Golfe. C’est très différent du début des années 1990, et c’est pire. On parle toute la journée de mondialisation, et quand on devrait réfléchir à la mondialisation de l’islam et de sa composante salafiste, on devient aveugle. Or, le Maghreb comme l’Europe occidentale, qui pourraient fonctionner en bonne intelligence et coprospérité dans un monde idéal, sont dans la ligne de mire des fondamentalistes du Moyen-Orient et d’Asie centrale. Je pense que les Algériens n’ont aucune envie de renouer avec une guerre civile trop bien connue. Mais pas question pour les ennemis de la démocratie libérale de laisser le Maghreb devenir une terre démocratique proche de l’Europe. Donc oui, il faut redouter les ingérences hostiles et leurs effets potentiels.
A l’époque, quelles avaient été les conséquences pour la France ?
Pierre VERMEREN – Dans les années 1990, on estime que la France a accueilli 500.000 immigrés et réfugiés algériens supplémentaires. A la fin de la guerre, il n’y avait plus qu’un professeur de français agréé en Algérie, le sale boulot avait été mené jusqu’au bout. Charles Pasqua a laissé s’installer en France des milliers de cadres algériens (médecins, journalistes universitaires, fonctionnaires…) qui ont fait leur place en France. Puis il a fallu former – notamment en coopération – une nouvelle génération de cadres. Mais les conséquences pour la France vont bien au-delà de ce mouvement de population. D’abord, c’est le développement de l’islamisme dans les banlieues de l’islam, dont les autorités françaises ont mis vingt ans à comprendre les dangers. Ensuite, la guerre civile algérienne relance la guerre civile franco-française que de Gaulle avait enterrée à coups d’amnistie et d’amnésie. Comme les islamistes perdent cette guerre, leurs amis français – qui sont nombreux, souvent par haine du régime algérien – ont promu le fameux « qui tue qui ? », accusant l’armée algérienne des pires exactions, voire d’avoir manipulé de bout en bout cette guerre. En retour, pour effacer l’humiliation de la guerre civile et répondre à ces agressions, les autorités algériennes, Bouteflika en tête, vont relancer, et surtout inventer, toute une dialectique pour criminaliser la France coloniale, délibérément associée au nazisme (chambres à gaz, génocide, fours crématoires, crime contre l’humanité, etc.). Le résultat: affaire Aussaresses [général et parachutiste de l’armée française ayant reconnu avoir recouru à la torture en Algérie, ndlr], Le Pen 2002, émeutes de banlieues en 2005, violences antisémites, hystérie collective de 2007, naissance des Indigènes de la République, etc. La facture est lourde.
Boualem SANSAL – Émigration, terrorisme, islamisation des banlieues, trafics en tout genre. C’était un début, la France n’a pas fini d’en voir. Nos islamistes, nos généraux, nos caciques du FLN, nos kleptomanes, sont tous ici. La France les a accueillis, naturalisés et leur a reconnu le droit de la juger pour haute trahison, racisme et islamophobie. Pourquoi n’en useraient-ils pas ? Ça donne à manger. (Suite et fin, demain) ■
Déni français, de Pierre Vermeren, Albin Michel, 288 p., 19.90 €.
Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il a publié Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016).