Je Suis Français s’attache à publier des textes, des analyses, des documents, choisis à raison de leur importance. Qu’est-ce qui est important ? Ce qui concerne les intérêts majeurs de la France et des Français, ce qui, de ce point de vue, pose les questions cruciales, s’affronte aux problèmes les plus vitaux, propose si possible des solutions, etc. Et enfin, est important tout ce qui concourt à définir une ligne politique française ou si l’on préfère, une politique d’action française. C’est dire que les textes que nous publions, repris de la toile ou de la presse, ne sont pas un amoncellement mais une sélection.
Ainsi avons-nous lu avec un certain effroi, il faut l’avouer, le grand entretien publié dans Le Figaro magazine du 29 novembre avec Boualem Sansal et Pierre Vermeren. Grand entretien réalisé par Alexandre Devecchio et qui traite à la fois de la situation algérienne, véritable bombe à retardement potentielle (pour l’instant) aux conséquences gravissimes pour la France ; et d’autre part de la conquête de l’Islam, en cours à l’échelle européenne et planétaire. De sorte que, peut-être sans le savoir encore, la France est aujourd’hui un pays en guerre. On dirait à cette heure, selon le mot devenu à la mode, que, aussi avertis que nous pouvons l’être déjà, la lecture de cet entretien, constitué de faits, d’analyses et d’informations, est glaçante. Nous n’y rajouterons rien de plus. Mais il faut lire ! JSF
(Suite)
« Si l’Europe était moins évanescente, elle taperait du poing sur la table en exigeant que l’Algérie satisfasse son peuple…»
Quelles seraient les conséquences aujourd’hui d’une éventuelle déstabilisation de l’Algérie ?
Boualem SANSAL – Le pouvoir n’a jamais cessé de massacrer les Algériens avec, toujours, les mêmes conséquences pour la France : des clandestins et des réfugiés en plus, de l’islamisme en prime, des problèmes nouveaux dans les banlieues. A mon avis, la situation va empirer, AGS n’est pas homme à reculer, il ira jusqu’au bout de son ambition et de sa folie.
Pierre VERMEREN – Je ne sais pas. Il y a d’une part la situation au Maghreb, qui est d’une manière ou d’une autre rivée à l’Algérie. Rappelons, que la Tunisie, la Libye et le Sahel sont voisins de ce pays, et que les Marocains ont les yeux braqués sur Alger. Et de l’autre, la situation intérieure française et européenne. La montée des votes nationalistes et identitaires dans toute l’Europe occidentale, suite à la grande crise migratoire de 2015-2016, et l’afflux de réfugiés et de faux réfugiés qui se poursuit, donnent à penser que la réédition des années 1990 n’est pas possible, sauf à créer un danger mortel pour la construction européenne, déjà malmenée par le Brexit. Les enjeux ne sont donc pas à prendre à la légère.
Le risque de submersion migratoire évoqué est-il un fantasme? Qu’en est-il du risque terroriste?
Boualem SANSAL – Si le Hirak échoue, en conséquence d’une répression féroce qui se dessine déjà, nous allons tous débarquer en France, 42 millions environ. On ne joue pas à se faire peur mais tout dans la démarche d’AGS et de sa issaba (gang) pousse dans ce sens.
Pierre VERMEREN – Un n’en finira jamais de payer la facture de l’économie pétrolière ! les hydrocarbures sont partout une malédiction car on se bat à mort pour capter la rente pétrolière. Et comme l’Occident accueille ensuite les pétrodollars, il ne fait rien, depuis vingt-cinq ans, pour passer à l’après-pétrole. Donc, il nous faut endurer cette situation et ses risques. Je refuse de penser au retour du chaos en Algérie, et à une vague hors de contrôle. Mais si l’Europe était moins évanescente, elle taperait du poing sur la table en exigeant que l’Algérie satisfasse son peuple, en échange d’une aide massive à sa mutation économique. Il faudrait aller de l’avant au lieu d’attendre le chaos.
Pierre Vermeren, dans votre livre, vous écrivez cette phrase terrible: « la guerre d’Algérie n’est pas finie ». Qu’entendez-vous par-là? Boualem Sansal, partagez-vous ce constat ?
Pierre VERMEREN – C’est bien sûr une formule. Mais la guerre d’Algérie a aussi été une tragique guerre civile, en France comme en Algérie. Résultat, les deux nations sont hantées par cette histoire. On a vu l’Algérie plonger dans les années 1990 sur des thématiques et avec un vocable des années 1950. En France, on s’en tient à une confrontation verbale mais de plus en plus rude – j’excepte là l’instrumentalisation de la guerre d’Algérie par les islamistes et leurs amis. Qui monte aujourd’hui aux extrêmes en France, dans les débats publics et politiques ? Faut-il donner les noms, à gauche et à droite, très à gauche et très à droite, de toutes les personnalités qui portent dans leur cœur les cicatrices algériennes ?
Boualem SANSAL – Oui et je vais plus loin, je dis qu’il faut refaire les négociations d’Évian. Cet accord nous a maintenus dans une guerre perpétuelle, dans le ressentiment et les règlements de comptes jamais apurés. Nous devons en sortir et construire quelque chose de sain qui répare, qui arrange, qui projette dans l’avenir.
En 2012, Nicolas Sarkozy, sous l’influence de Patrick Buisson, a hésité à dénoncer les accords d’Évian et notamment de revenir sur le titre de séjour spécifique que peuvent obtenir les Algériens. De quoi s’agit-il? Cela a-t-il de réelles conséquences ? Lesquelles?
Boualem SANSAL – Ce sont là détails administratifs. Si le Hirak réussit, l’Algérie réalisera son indépendance nationale et les problèmes nés des accords d’Évian et des conventions conclues par les deux gouvernements sur le dos des peuples, se résoudront d’eux-mêmes. La France offrirait gratuitement visas et cartes de séjour que les Algériens ne les prendraient pas, ils seraient trop occupés à reconstruire leur pays retrouvé.
Pierre VERMEREN – Les accords d’Évian ont été torpillés par Boumediene, et les règlements migratoires ont été révisés dix fois. Que l’Algérie soit traitée comme un pays normal, c’est là chose évidente. Mais il faudrait que nous considérions les pays d’Afrique du Nord, et j’y associe les pays arabes du Moyen-Orient, comme des pays normaux: or, sous la Ve République, l’Élysée, la Défense et l’Intérieur ont dans ce domaine la prééminence sur le Quai d’Orsay et Matignon. C’est le domaine réservé. Quand c’était de Gaulle, ça allait. Depuis, il y a de la perte en ligne.
Plus largement, Pierre Vermeren, vous dénoncez l’ingérence de l’Algérie, mais pas seulement, dans l’islam de France. Là encore quelles sont les conséquences et comment éviter cette dérive ? Boualem Sansal, la construction d’un islam de France indépendant vous semble-t-elle possible ?
Pierre VERMEREN – Les Français ont attendu trente ans (voire plus) pour réaliser que l’immigration musulmane installée en France allait y rester. De 1962 à 1992, la France a délégué l’islam en France à l’Algérie. Quand la guerre civile a frappé, l’Algérie déstabilisée a laissé de facto une place au Maroc. Puis les islamistes se sont engouffrés dans la brèche, en attendant les Turcs d’Erdogan. Aujourd’hui, « l’islam consulaire » domine, d’autant qu’il surfe sur la vague djihado-salafiste pour justifier sa présence. En face, ils ont affaire à une classe politique très largement dépassée – faute de formation de base. Il faudrait, en dix ans, sanctuariser l’islam de France. Ce ne sera pas simple. Mais un impôt religieux librement consenti – à l’allemande – pourrait faciliter les choses : «Vous êtes croyants et vous voulez un lieu de culte desservi par des Français ? Vous payez une contribution diligentée par l’État laïc garant. » Songez au fait que le PIB de la diaspora maghrébine en Europe équivaut au PIB du Maghreb. Donc les aides extérieures sont superfétatoires.
Boualem SANSAL – Ça n’existe pas, l’islam de France, indépendant, laïc et quoi encore. Il y a l’islam, point. Il va où il veut, l’univers lui appartient par décret divin. Non, franchement, entre ordres d’Alger, conseils de Rabat, directives de Bruxelles, suggestions de Berlin, menaces d’Ankara, souhaits de Riyad et de Doha, on se demande de quoi « s’occupe à s’occuper » le gouvernement français comme disait Mme Rachida Dati. Si les rapports de technocrates réglaient les problèmes, on en commanderait cent par jour. Il faut réfléchir un peu quand même : juifs, chrétiens et musulmans ont mis des siècles pour organiser leurs religions et on voudrait qu’un rapport administratif de 100 pages, truffé de y’a qu’à, faut qu’on, organise l’islam de France, et en rupture s’il vous plaît avec l’Islam d’Allah, de Mahomet, des Lieux Saints et du monde musulman qui compte 1,8 milliard de fidèles peu disposés à accepter de voir des mécréants tripatouiller leur religion. Ecrire des rapports officiels pareils est d’une inconscience et d’une prétention folles. (Suite et fin) ■
Déni français, de Pierre Vermeren, Albin Michel, 288 p., 19.90 €.
Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il a publié Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016).