Par Gérard Leclerc.
FIGAROVOX/TRIBUNE – L’avocat général a demandé la relaxe du Cardinal Barbarin, condamné en première instance pour non-dénonciation d’agressions sexuelles. Gérard Leclerc décrypte les enjeux de ce procès hautement symbolique. [4.II.2019]
Une véritable mise à mort de l’archevêque de Lyon a été déclenchée qui défigure odieusement sa personnalité.
Il faudra attendre la fin du mois de janvier pour connaître le verdict du second procès Barbarin. Curieusement les médias ont été beaucoup plus discrets sur lui que sur le précédent. Sans doute, n’y avait-il plus la même intensité d’image, la même possibilité d’hallali. Un cardinal sur le banc des prévenus, c’était tout de même un spectacle à ne pas rater, d’autant que sa mise en accusation était lourde d’arrière-pensées. N’était-ce pas l’institution Église qui était sur le point de vaciller, sa légitimité, sa prétention à dire le bien et à désigner le mal ?
Mais il y avait d’abord la réalité judiciaire dont le cadre et la procédure résistent malgré tout aux débordements spectaculaires. Le cardinal Barbarin devait d’ailleurs lui rendre hommage. Surtout, ce premier procès était celui des victimes qui enfin parlaient, osaient parler publiquement. Ce fut, aux dires de tous les témoins, saisissant, accablant. Mais l’accablement devait-il retomber sur les seules épaules de l’archevêque de Lyon? Sans doute, oui, parce qu’il était le principal accusé et qu’au terme d’une telle accumulation d’horreurs, on ne pouvait le laisser sortir indemne du prétoire. Pouvait-il échapper à une peine, même symbolique? On ne l’aurait pas compris.
Cependant, on ne pouvait s’empêcher de poser la question, pour peu qu’on ne se laisse pas complètement entraîner par la seule émotion: ce premier procès n’avait-il pas été, de fait, un procès Preynat, dont le présumé coupable était Philippe Barbarin, en l’absence de l’intéressé, non encore jugé? C’était d’ailleurs l’intention proclamée des initiateurs de l’accusation qui pensaient que la condamnation de l’auteur des faits n’aurait pas l’éclat de celle d’un cardinal primat des Gaules. Leur volonté était de donner le maximum de retentissement à leur cause en imposant l’institution Église comme coupable. Même symbolique, le verdict de condamnation comblait leurs attentes.
Avec la distance, ce verdict soumis aux impératifs du seul droit n’est plus aussi évident. Le second procès vient d’en faire la preuve avec la charge implacable de l’avocat général, Joël Sollier, qui le déconstruit complètement. Il est particulièrement sévère à son égard en parlant de «chimère» juridique , «qui ne répondrait qu’à un impératif idéologique dont les conséquences dévastatrices n’ont, à l’évidence, pas été suffisamment pesées.» Dès lors, la relaxe du cardinal Barbarin s’imposerait selon une argumentation particulièrement rigoureuse. Les membres de La parole libérée, victimes du père Preynat, sont d’évidence vent debout contre une intervention qui détruit leurs espoirs d’une condamnation retentissante, jetant l’opprobre sur le cardinal et l’Église catholique. L’avocat général leur dénie toute possibilité d’un jugement à portée symbolique qui couronnerait leur combat.
Un combat qui, il importe de l’affirmer, se justifie sans conteste possible. Depuis que le scandale des abus sexuels sur les enfants a été révélé, une immense nappe de douleur est montée à la surface, qui ne peut que nous confondre et nous rendre malades de tristesse. Qu’il concerne l’Église catholique avive encore cette tristesse à un degré inimaginable pour ses fidèles. Nous nous trouvons face à un extraordinaire défi qui concerne la société entière par-delà cette Église qui se doit de l’affronter de la façon la plus drastique. Il faudrait être de mauvaise foi pour affirmer qu’elle ne s’est pas mobilisée dans ce but. Quelle autre institution a eu le courage de constituer une commission d’enquête (celle présidée par Jean-Marc Sauvé) pour dresser un bilan exhaustif des atteintes aux enfants pratiquées en son sein depuis la guerre? Il faudra certes encore du temps pour parvenir à mesurer les proportions du fléau et trouver les moyens propres à l’éradiquer.
Mais on est aussi en droit de s’interroger sur la stratégie choisie pour parvenir à ces fins les plus justifiées. Le choix d’avoir pris l’unique cardinal Barbarin comme cible de la colère, pour remettre l’institution en cause, n’était-il pas susceptible des défauts et des dérives que René Girard avait mis en évidence dans le phénomène du bouc émissaire? Cette stratégie risque d’ailleurs de trouver ses limites dans un probable acquittement de Philippe Barbarin en janvier prochain. Mais elle risque aussi de dépasser complètement ses initiateurs à travers l’incroyable houle de haine qu’ils ont déclenchée, sans peut-être l’avoir voulu, et qui submerge média et réseaux sociaux. Une véritable mise à mort de l’archevêque de Lyon a été déclenchée qui défigure odieusement sa personnalité. Croire qu’elle soulagera la douleur des victimes relève d’une magie perverse. D’ailleurs, elles doivent le ressentir confusément. Susciter la haine, c’est la meilleure façon de bafouer la justice qui leur est due. ■
Gérard Leclerc est journaliste et éditorialiste à France Catholique et sur les ondes de Radio Notre-Dame. Il a récemment publié Sous les pavés, l’Esprit (Salvator, 2018).
En condamnant seulement Preynat et ses trop nombreux semblables on ne condamnera que des brebis galeuses.
Si on parvenait à faire condamner le Cardinal on condamnerait le troupeau tout entier et l’un de ses plus éminents pasteurs.
Tout est là.