Par Xavier Raufer.
Xavier Raufer vient de publier cette étude intéressante par l’expertise minutieuse de son auteur et par la richesse des informations qu’elle contient sur un sujet du présent et du futur d’une importance évidente. Même si cela sort un peu de nos centres habituels d’intérêt et peut-être justement pour cette raison même nous ne pouvons manquer de nous en tenir informés La publication sera en 5 fois, chaque jour à compter de ce jour. Le texte est truffé de termes anglais, sans doute inévitables en l’espèce. JSF
Escrocs, espions, mégalos : bienvenue chez les GAFA
« En général, les problèmes ont un prénom et un nom. » Joseph Staline
Cybermonde : les Etats-Unis disent wild west ; l’Europe, plutôt cyber-chaos. Mais partout, l’accord se fait sur l’aphorisme forgé par l’auteur pour son ouvrage de cyber-criminologie (1) : « Le monde numérique, c’est la Banque de France, moins les coffre-fort ». Sévère diagnostic, mais d’entrée, un témoignage et quelques chiffres exposant l’ampleur du problème :
• Tamir Pardo fut le directeur du Mossad de 2011 à 2015 ; depuis, ses propos publics sont rares. Or, en mai 2019, il désigne le cyber comme péril majeur du temps (2) : pour lui, aussi grave que le danger nucléaire, en moins agressif et plus silencieux. Alors que la guerre classique devient hors de prix (3), l’arme cyber sème le chaos pour moins de 1% d’un budget nucléaire type ; ce que nulle bombe atomique ne fera jamais. Ce, l’instabilité des réseaux connectés étant constante, dans une telle confusion que l’origine plausible de toute attaque est forcément incertaine.
• En 2018, 26 millions d’Américains ont subi des fraudes cyber ou vols d’identité ; préjudice total, ± $ 17,5 milliards (4) ; soit ± 10% des Américains de 16 ans et + (7% des mêmes, en 2015) ; 35% des victimesde 2018 ont de hauts revenus (+ de $ 75 000/an).
Désormais, ce qui est précieux dans la société de l’information – fortunes, secrets, défense stratégique, santé, etc. – est ainsi stocké sur des serveurs plutôt aisés à éventrer, piller, saboter – nous donnons de cela plus bas d’actuels exemples ; certains, effarants.
A ce niveau de l’analyse, établissons à grands traits l’énormité de la cybermenace, telle que dépeinte fin 2018 par la prestigieuse New York Review Of Books (5).
Dissolvant toute distinction entre monde physique et numérique, silencieux, invisible, sans explosion ni fracas, le piratage offensif ravage les cadres nationaux ou internationaux ; il peut détruire des systèmes financiers, saboter des infrastructures critiques, brouiller les communications de l’ennemi. Plus de téléphones portables ni de feux de trafic, cartes de paiement mortes – l’Etat et la société sont paralysés.
Tel est donc aujourd’hui l’état du fragile monde numérique, quoi qu’en disent des experts ès cybersécurité si souvent pris en défaut, ou perdus dans d’implausibles explications, que la chose devient bouffonne : une infinie distance régnant de fait, entre colloques débordants d’autosatisfaction et d’admiration mutuelle, et l’actualité et son cortège de désastreux piratages.
Or l’inquiétant et durable cyber-chaos n’est pas fatal ; ne relève pas d’une météorologique malédiction, genre « la grêle a ravagé tel vignoble » ; au contraire, ce chaos a une claire origine, des coupables identifiés, de néfastes pratiques décelées et analysées ; l’impuissance générale et le silence de grands médias tenant juste au fait que désormais, ces fauteurs de chaos écrasent tant le paysage numérique ; possèdent de telles fortunes et tiennent d’une poigne si dure le monde de l’information-communication, que toute l’info-sphère (6) tremble devant ces « forces configuratrices » du monde présent et de demain.
Tel est le sujet de cette étude, dans laquelle nous prouverons point par point les accusations énoncées ci-dessus.
Rappel : méga-serveurs, le réel sous les masques (7).
Les méga-serveurs sont le nom technique des titans du net, multinationales du High-Tech autrement appelés GAFA pour Google, Apple, Facebook et Amazon – plus bien sûr, d’autres géants encore (Microsoft, eBay, Netflix, Uber, etc.).
Rappelons d’abord le gigantisme et la puissance de ce qu’on nomme génériquement Silicon Valley, qui, dit la New York Review of Books, a réalisé « la principale accumulation légale de richesse de l’histoire du monde ».
La vraie nature des méga-serveurs
GOOGLE : Android, système d’exploitation de Google, équipe 82% des smartphones vendus au monde ; usagers, ± 1,5 milliards ; recherches sur Google : ± 100 milliards par mois – Hors Chine, ± 90% des requêtes mondiales sur Internet (8) ; plus You Tube, ± 2 milliards d’usagers par mois, plus 1 milliard d’utilisateurs actifs de gmail. En Amérique du Nord, ± 25% du trafic Internet passe par des serveurs Google. La fortune personnelle des fondateurs de Google : Larry Page, ± 49 milliards de $ ; Sergey Brin, ± 40 md$. En 2017, le chiffre d’affaire monde de Google était de ± 120 milliards $ (84md$ pour la publicité), le profit annuel de ± 22,4 milliards $. Fin 2017, Google a 89 000 salariés et 38 centres de stockage de données dans le monde. Fin 2018, le personnel Google a cru en un an de + 21%.
FACEBOOK : usagers, ± 2,2 milliards (la moitié des usagers mondiaux actifs de l’Internet) ; Facebook Messenger, ± 1,3 milliard ; en 2018, son personnel a cru de + 45% en un an. Son bénéfice est de ± 5 milliards $ par trimestre.
WHATSAPP : ± 1,5 milliard d’usagers,
INSTAGRAM : ± 1 milliard,
TWITTER : ± 330 millions,
AMAZON : est l’une des deux sociétés américaines comptant plus de 500 000 salariés.
Au dernier trimestre 2018, le chiffre d’affaires combiné des GAFA est de ± 167 milliards $ (+24% sur le dernier trimestre 2017).
Méga-serveurs et volonté de puissance (9)
Théorie destinée au bon peuple : les serveurs sont d’innocentes mais malines machines vouées à fluidifier toutes les structures et dispositifs de la vie : plus de frictions – que de l’agrément. Dans la transparence bien sûr. Comment atteindre ce graal sociétal ? Tout déréguler bien sûr, faciliter au maximum la vie des start-up et de leurs aînées, géantes du Net. En termes plus politiques, tel est le socle de l’idéologie libertarienne,
Léger détail : tout transparent… sauf l’organe-même qui produit, suscite, fournit, cette efficience ; c’est à dire, le serveur lui-même et un cran au-dessus, les titans-milliardaires qui le possèdent et le contrôlent. Juchés sur leurs métastasants milliards et entreprises, ces titans se constituent en entités transnationales souveraines, échappant au droit des gens ordinaires – donc souverains, au sens que Carl Schmitt donne au terme : tenus par les seules lois qu’ils décrètent. Ainsi, ils profilent les populations, pillent toutes données accessibles, configurent à discrétion leur environnement ; les contrats d’adhésion entre les GAFA & co. et leurs usagers sont discrétionnaires, non négociables.
Méga-serveurs : le bidonnage utopique (10)
Google – légende soignée, deux geeks- farfelus, innocents baba-cool, créent le moteur économique du monde nouveau… Le pouvoir au peuple ! Un nouvel ordre mondial en réseau… Les centres de pouvoir de l’ancien monde, militaires, entreprises, gouvernements, impuissants devant le pouvoir égalisateur de l’Internet.
Facebook – entreprise idéaliste rapprochant les terriens ? Pur écran de fumée camouflant une sombre réalité : en 2018, la justice britannique publie 250 pages de courriels entre hauts dirigeants de Facebook. La vérité éclate : pillage effréné des données privées des utilisateurs… détection frauduleuse, puis élimination de potentiels concurrents… Volonté mégalomaniaque de faire de Facebook l’interface unique de l’entière vie sociale de tout usager en ligne… lucre, monopole, on en passe.
Derrière ces légendes dorées, ces contes de fées pour adultes – visant d’abord à vendre des logiciels et applications et à récupérer des données – que de truquages, mensonges et bidonnages. En voici quelques-uns. [A suivre] ■
Notes
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Cyber-criminologie, Xavier Raufer – CNRS-Éditions, Paris, 2015.
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Entretien sur CBS News, 22/05/19 « Tamir Pardo talks with Michael Morell on Intelligence Matters« .
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Un seul chasseur Rafale de Dassault coûte ± 140 millions d’euros.
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Daily Mail – 9/01/2019 « Getting your life hacked – 10% Americans are victims of identity theft, totaling $ 17,5 billion in losses ».
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NYROB, 11/10/2018 « Hacked to bits ».
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Terme conçu par le sociologue Michel Maffesoli. Selon lui, à l’ère de l’information, l’info-sphère agrège des propriétaires-milliardaires de médias, des patrons de presse, et ceux (politiciens, businessmen, artistes, etc.) à qui les précédents consentent le « pouvoir de la parole ». Ainsi s’opère, sous étroit contrôle du capital mondialisé, la fusion des élites du faire : élus, hauts fonctionnaires, grands patrons (industrie, finance), et du dire : intellectuels, écrivains, journalistes.
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D’abord ce livre crucial : « Surveillance valley – the secret military history of the Internet » Yasha Levine – Public Affairs, New York, NY, 2018 – New York Times International – 4/01/2019 « How Facebook controls what the world can say » – New York Times International – 3/01/2019 « Troubled big tech is just getting started » – NYROB – 25/10/2018 « The autocracy app » – Le Parisien – 30/09/2018 « Les univers de Google ».
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Voir en annexe, p. X, un rappel de la définition de ce réseau.
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New York Times International – 27/03/2019 « Suffering for their tech » – New York Times International – 7/12/2018 « Facebook emails tell a cutthroat tale ».
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Le Point – 22/05/2019 « Les êtres humains rejoignent quelques villes, les plus grandes » – « La ville pour tous » Robin Rivaton, Editions de l’Observatoire, 2019 – UPI – 13/09/2018 « Census bureau: California has highest poverty rate in US » –
Seule une « Ligue de Cambray » (alliance du Roi de France, du Roi d’Aragon et de l’Empereur en 1508 contre Venise alors superpuissance économique) sera susceptible de maîtriser ces GAFA;
Une alliance politique internationale (avec ou contre les USA ?) qui suppose bien évidemment que la France retrouve sa souveraineté.