Par Xavier Raufer.
Xavier Raufer vient de publier cette étude intéressante par l’expertise minutieuse de son auteur et par la richesse des informations qu’elle contient sur un sujet du présent et du futur d’une importance évidente. Même si cela sort un peu de nos centres habituels d’intérêt et peut-être justement pour cette raison même nous ne pouvons manquer de nous en tenir informés La publication sera en 5 fois, chaque jour à compter de ce jour. Le texte est truffé de termes anglais, sans doute inévitables en l’espèce. JSF
Escrocs, espions, mégalos : bienvenue chez les GAFA
« En général, les problèmes ont un prénom et un nom. » Joseph Staline
Bidonnages
Bidonnage militaire (11)
Mai 2003 : la brigade de combat (BCT) du colonel Ralph Baker occupe les secteurs de Karkh et Karada, à Bagdad (700 000 à 1 million d’habitants). Après quelques mois de terrain, que dit ce colonel des outils de guerre électronique dont son unité regorge ? Gadgets exportant le high-tech de Silicon Valley dans le champ militaire et censés donner à l’armée américaine une vue divine du champ de bataille (God’s view of the battlefield) ? Ceci (en version originale) : Our imagery operations, electronic reconnaissance and standard combat patrols and surveillance operations, were simply ineffective and yelded almost no actionable intelligence. Ce dispositif de guerre numérique « a été purement inefficace et n’a presque rien fourni comme renseignement opérationnel ».
Bidonnage antiterroriste (Yasha Levine, op. cit.)
Au matin du 12 septembre 2001, le co-fondateur de Google, Sergey Brin convoque au siège de la société (Mountain View, Cal.), ses meilleurs informaticiens, concepteurs de l’architecture du super-moteur de recherche. Leur mission secrète : sonder Google de fond en comble et y trouver les traces des terroristes du 9/11. Voir s’ils ont utilisé Google avant d’attaquer ; y ont laissé des traces de recherches d’avant attentats. L’opération de rétro-ingénierie numérique vise à repérer ces recherches ; retrouver ces terroristes ou leurs complices et parer à de futurs attentats. Résultat zéro.
Bidonnage anticriminel (Yasha Levine, op. cit.)
A l’origine, les premiers logiciels de contre-insurrection conçus par le Pentagone durant la Guerre froide ; récemment, des essais d’outils prédisant-empêchant les attaques sur les soldats américains en Irak. Ces algorithmes (dont on a vu l’échec en Irak…) sont ensuite bricolés en outils de lutte anti-crime. Premier test, Los Angeles Police Department, 2014 : il s’agit de prévoir des points chauds où des criminels pourraient ? Vont ? Bientôt frapper. D’autres cyber-géants s’y mettent : IBM, Lexis-Nexis, Palantir, etc.
Aux conseils scientifiques de ces outils prédictifs, des dirigeants de Google, Facebook, Amazon, eBay … plus in-Q-tel, société de capital-risque de la CIA de la Silicon Valley. Passés les dithyrambes médiatiques, résultat médiocre : prédiction de ce qu’au fond, les policiers de terrain savent déjà… Bandits jouant comme d’usage de l’effet de déplacement – ce qu’en gros, tout mammifère fait aisément et que la séculaire sagesse populaire exprime par chat échaudé craint l’eau froide… Les connaisseurs de la Silicon Valley parlent de faux-nez de géants du Net, visant à capter plus de données encore, dans le lucratif domaine du prédictif-sécuritaire pour municipalités et Etats.
Bidonnage sociétal – (Robin Rivaton, op. cit.).
On se souvient des prédictions de Silicon Valley, dans les années 2000 : les monts et merveilles de l’imminente révolution numérique. Résultats réels, une à deux décennies plus tard :
Métropolisation du monde : « On a cru que le digital et les télécommunications nous affranchiraient de la géographie. C’est l’inverse qui s’est produit ». Un humain sur 10 vit en ville en 1900, ils seront deux sur trois en 2050.
Numérique et télétravail : « Le télétravail permettrait-il à des citadins de retourner à la campagne… Cette utopie décentralisée ne s’est jamais concrétisée ». Le nombre d’Américains travaillant tout ou partie à domicile n’a pas progressé en une décennie : 23% en 2007 ; idem en 2017.
Vidéoconférences : « Jamais il n’y a eu tant de déplacements aériens professionnels. Ils coûtent à Apple, pour le seul aéroport de San Francisco, environ 150 $ millions par an ».
MOOCs (Massive Open Online Course) : « Transformer l’éducation ? Quelques années plus tard, on constate que les grandes universités ne se sont jamais aussi bien portées ».
Le digital profitable à tous (la marée montante soulève tous les bateaux, etc.) – Aux Etats-Unis, 80% des investissement dans les start-up touchent 5 métropoles, pas plus : Boston, Los Angeles, New York, San Francisco et San Jose. France : 50% des emplois du numériques sont en Ile-deFrance. Des emplois destinés aux bobos-métropolitains, le reste de la France étant délaissée.
Enrichissement par le cyber – La Californie (Etat de la Silicon Valley) a le taux de pauvreté le plus élevé des Etats-Unis : 19%, 7,5% de pauvres. A Los Angeles, les sans-domicile-fixe sont 75% plus nombreux en 2017 qu’en 2012. Taux de pauvreté d’autre Etats: Floride, ± 18% ; Louisiane, 17,7% ; Mississippi, ± 16% ; Nouveau Mexique, ± 15% .
Et à proximité de la Silicon Valley, de San Jose à la baie de San Francisco, épicentre libertarien high-tech ? C’est pire encore (12). De 2017 à fin 2018, + 17% de sans-abri à San Francisco (8 200, décembre 2018), dont 68% dorment dans leur voiture , et toujours plus de jeunes (+10% 2017-2018). Hors des isolats ou « communautés encloses » pour super-riches, une marée de misère, de crasse et de déjections. Et ces « humanistes » du high-tech, soi-disant toujours le cœur sur la main, combattent férocement les projets d’installation d’abris pour pauvres près de chez eux. [A suivre] ■
Notes
11. Military Review – March-April 2007 – R. O. Baker « Humint-centric operations: developing intelligence in urban counterinsurgency environment »
12. USA Today – 19/05/19 « The 25 richest cities in America – California has eight » – The Guardian – 17/05/19 « Homelessness surges in San Francisco while tech’s richest grow richer ».