Par Pierre de Meuse.
Bien que n’étant pas de ses proches immédiats, je tiens à apporter mon témoignage afin d’évoquer ce grand esprit qui vient de nous quitter.
C’était un universitaire s’il en fut, mais il appartenait à cette université idéale, pleine de courage, de rigueur et de liberté, qui n’existe plus guère en France. Il eut principalement deux maîtres : en Histoire, il fut l’assistant de Roland Mousnier, ce grand historien de l’Ancien Régime ; en philosophie, il garda toujours présentes à son esprit les leçons de Louis Jugnet qui lui donna des repères de pensée intangibles, ceux de la philosophia perennis.
Pendant les événements de mai 68, il maintint impavide ses cours à la Sorbonne, malgré les hordes hurlantes de prétendus étudiants qui attendaient en vain de lui la soumission que tant d’autres de ses collègues leur avaient accordée. C’est dire que les concessions à l’ennemi n’étaient pas dans son éthique. Jamais il ne refusa son soutien à un enseignant attaqué injustement. Il avait une foi catholique brûlante et sourcilleuse, ce qui ne l’empêchait nullement de considérer amicalement ceux qui ne la partageaient pas, lorsqu’ils menaient le bon combat. Car ce sont ses convictions qui l’ont conduit à réaliser ses recherches historiques sur la société d’Ancien Régime, tant sur la vie chrétienne et l’éducation aux XVII° et XVIII° siècles que sur l’évolution des mentalités ou sur le village de Verlhac sur Tescou dans la province du sud Quercy dont sa famille est originaire et où il a fini ses jours.
Nous devons encore à Jean de Viguerie des réflexions salutaires pour notre analyse politique. Dans un livre publié en 1998, intitulé « Les Deux Patries », cet historien royaliste mettait en lumière les caractéristiques de l’identité française traditionnelle, sur toute l’épaisseur de l’Histoire. Il montrait, textes littéraires et poétiques à l’appui, combien l’héritage français venu du fond des âges se différenciait de la version républicaine issue de la révolution. Il y voyait une totale incompatibilité, l’utopie du régime s’incrustant sur notre pays comme un parasite et le privant de sa substance pour le conduire à la mort, même si la fin de la France signifie aussi la fin de son symbiote malfaisant.
Cette critique sans concession le conduisait à s’interroger sur les bienfaits de « l’union sacrée » pendant la guerre de 1914. Certains d’entre nous en prirent ombrage, mais l’évidence de ses arguments interpella les royalistes.
De même, dans son livre « Itinéraires d’un historien » (2000), commentant le livre de Paul Hazard « La crise de la conscience européenne », le professeur complétait l’œuvre de l’historien flamand en signalant combien la victoire des « Modernes » dans la querelle qui les opposait aux « Anciens », était fondée sur le mépris des faits, essentiel aux Lumières. Et il conclut : « La philosophie moderne écarte l’Histoire, mais on le voit bien, à travers l’Histoire, ce sont les faits qu’elle rejette, et, au delà des faits, la réalité de l’être. » (p.68)
Que dire enfin ? Qu’au delà de l’historien rigoureux et honnête, il y avait un homme modeste, un gentilhomme pour qui le tact et la courtoisie n’étaient pas de vains mots, et qui, avec son épouse àlaquelle rien n’échappait, nous offrait toujours une hospitalité qu’Homère n’aurait pas désavouée. Monsieur le Professeur, Merci pour tout ce que vous avez fait pour nous. Nous ne vous oublierons pas. ■
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Comme tout cela est vrai. Je puis en attester bien que je n’aie connu Jean de Viguerie qu’à la fin de son séjour dans le Nord.
Merci