Par Edouard Husson.
« Alors que la grève contre la réforme des retraites se poursuit en ce mercredi 25 décembre, la magie des Fêtes de fin d’année semble s’être évaporée. Où est passé « l’esprit de Noël » ? La nostalgie d’un moment de paix civile, de retrouvailles en famille, de réjouissances pour les enfants, de solidarité avec les plus pauvres pourrait être salutaire pour le pays et les citoyens. »
Tel est l’esprit de cette chronique signée d’Edouard HUSSON, publiée sur Atlantico le 25 décembre. Son auteur, face à l’ampleur du déclin français qu’il décrit ne pose pas, comme nous, la question du régime. Il rappelle néanmoins les conditions de la vigueur d’un peuple dont la première est son enracinement dans son histoire et sa Tradition. JSF
Où est passé l’esprit de Noël ?
La cause est entendue. Les sociologues nous le répètent à satiété: la France n’est plus un pays chrétien; la pratique religieuse régulière se réduit à quelques pourcents. Certes, le christianisme avait reculé depuis le XVIIIe siècle; mais l’effondrement ultime s’est produit en une génération. Une page est tournée dans l’histoire de notre pays.
En fait, ce constat n’est qu’une face de la médaille. Retournez-la et vous verrez que nous n’avons pas fini de traiter les conséquences d’un tel bouleversement. Le constat froid du démographe ou du statisticien est une chose; l’état d’esprit du pays en est une autre. On ne peut pas se contenter, quand il s’agit du besoin de sens que l’individu et la société donnent à leur existence, de constater qu’un vide s’est créé. Nos dirigeants successifs accompagnent le déclin religieux du pays, sans se rendre compte qu’un pays qui perd ses repères traditionnels devient beaucoup plus difficile à gouverner. La situation dans laquelle se trouve le pays à Noël 2019 en est une illustration flagrante.
Où est passé « l’esprit de Noël »? Pas besoin d’être chrétien pour avoir la nostalgie d’un moment de paix civile, de retrouvailles en famille, de réjouissances plus particulières pour les enfants, de solidarité avec les plus pauvres. Noël, c’est le moment des cadeaux. Tout le monde ne peut pas en offrir mais rien ne devrait détourner la société d’un moment de gratuité, d’entraide, d’esprit désintéressé.
L’occasion manquée de Noël 2018 : quand nous avons laissé partir l’esprit de fraternité des Gilets Jaunes.
L’année dernière, sur les ronds-points, à Noël, les Gilets Jaunes ont exprimé fortement la nostalgie de fraternité qui habite notre société. Noël 2018 a été le sommet et le début du déclin du mouvement. Quelques jours plus tard, le président de la République, qui avait surmonté la panique que ce mouvement spontané avait déclenché en lui au début décembre 2018, a prononcé quelques mots, fatals, sur la « foule haineuse ». Une fois 2019 entamée, la police et la gendarmerie ont repris leur travail de répression d’un mouvement qui a résisté un temps puis s’est étiolé, laissant dans l’opinion un goût amer. Etonnez-vous, après cela, de la confusion qui règne dans les esprits en la Noël 2019.
Il est très frappant de voir comment le gouvernement et les syndicats ont été incapables de maîtriser l’affrontement qu’ils ont déclenché pour la réforme des retraites. Le gouvernement aurait pu mettre son point d’honneur à boucler une négociation pour Noël. Les syndicats auraient pu mettre l’opinion définitivement de leur côté en suspendant leur mouvement le temps des fêtes. Rien de tel ne s’est passé. Certains diront que les syndicats ne maîtrisent pas leur base, qui veut continuer la grève. Mais la grève passe-t-elle forcément par la prise en otage du pays ? L’esprit de Noël n’aurait-il pas pu être, même cyniquement, un atout à mettre de son côté en attendant la reprise et le dénouement du bras de fer début 2020 ?
Certes, il y a des forces profondes à l’œuvre dans la société. Il y a un an, les Gilets Jaunes avaient proposé à la société de retrouver l’esprit de Noël, même sécularisé. Il n’y avait pas eu que le gouvernement pour ne pas saisir la balle au bond : à quelques exceptions près, vous souvenez-vous de chrétiens, membres du clergé ou laïcs, se rendant sur les ronds-points ? Vous souvenez-vous d’intellectuels, là encore à quelques exceptions près, prenant le parti du peuple, attirant l’attention sur la baisse du niveau de vie et la dépossession politique et financière de millions de nos concitoyens ? Vous souvenez-vous d’une opposition politique prenant raisonnablement la défense des Gilets Jaunes dans un esprit de paix et de fraternité ?
Décembre 2019 : point bas dans l’histoire de notre pays
Un an plus tard, en 2019, on aurait pu croire que les luttes sociales classiques étaient de retour: manifestations et grèves encadrées par les syndicats; dialogue entre les partenaires sociaux etc.…Mais la trêve de Noël faisait partie de ces conflits classiques. Même le conflit le plus dur de l’après-guerre, en novembre-décembre 1947, s’était dénoué avant Noël. Il y avait eu des morts et le pays s’était cru au bord d’une insurrection communiste et pourtant l’esprit de Noël s’était imposé à la fin. Soixante-dix ans plus tard, les fronts sont beaucoup moins clairs, le pays est beaucoup plus éclaté, morcelé. Surtout, le sens des choses est largement perdu. Pourquoi sommes-nous Français ? Le contrat social a-t-il encore un sens ?
Décembre 2019 restera comme un point bas dans l’histoire de notre pays. On se rappellera les gauchistes troublant la crèche des enfants à Toulouse. On se souviendra d’un président n’ayant pas d’autre « truc » à sortir de son chapeau que de renoncer à sa retraite de président – attirant l’attention sur le fait qu’il en toucherait d’autres. On mentionnera ce chauffeur Uber expliquant cyniquement à une journaliste qu’il est par ailleurs conducteur à la RATP et se réjouit d’une grève qui lui permet de gagner plus d’argent comme chauffeur de VTC. On s’étonnera d’une SNCF où direction et grévistes manquent autant d’imagination pour permettre à l’autre côté de ne pas perdre la face tout en prenant le parti des voyageurs.
La tradition, c’est le droit de vote de nos ancêtres
On comparera la France à son voisin britannique. Boris Johnson, Premier ministre confirmé, vient de prononcer une allocution de « Joyeux Noël » adressée à ses compatriotes. La Grande-Bretagne est-elle moins sécularisée que la France ? Non mais la société y sait, instinctivement, que, même en ayant tourné le dos au christianisme, il faut garder quelque chose de l’esprit de Noël. On n’a pas peur, à la différence de la France, de dire « Joyeux Noël » – c’est tout de même mieux que le timoré « joyeuses fêtes de fin d’année » auquel s’astreignent des Français qui s’autocensurent sans savoir très bien qui pourrait les punir, à vrai dire, de parler de Noël comme cinquante générations d’ancêtres. Johnson est un grand communiquant, certes, mais notons alors qu’il a jugé bon de parler de l’esprit de réconciliation, de paix, de la joie des enfants; et qu’il a évoqué tous les chrétiens fêtant Noël à travers le monde, y compris les chrétiens persécutés.
Etonnez-vous après cela que le Premier Ministre britannique soit à la tête d’une majorité massive, munie d’un mandat clair, dans un pays fier de sa souveraineté. Parmi les électeurs de Johnson, il y en a qui « croient au Ciel » et sans doute beaucoup plus encore qui « n’y croient pas », pour parler comme Eluard. Mais tous sont d’accord sur un point : une démocratie ne peut pas se couper de son passé sans se défaire, sans risquer de disparaître. Comme disait le grand Chesterton : la tradition, c’est le droit de vote de nos ancêtres ! ■
Édouard Husson est historien. Professeur des universités, il est ancien directeur général de l’ESCP Europe. Il a été élu en 2009 professeur d’histoire contemporaine à l’université de Picardie puis en 2018 à l’université de Cergy-Pontoise. Wikipédia
Désolé mais la citation poétique que fait l’auteur de l’article n’est pas d’Eluard mais d’Aragon.
Il dit aussi que quand les blés sont sous l’orage fou est qui fait le délicat. Par là même il appelait toutes les sensibilités politiques à s’unir dans la Résistance à l’occupant nazi et son régime fantoche.
De nos jours tous les patriotes, quelles que soient leurs sensibilités politiques, devraient s’unir pour faire en sorte que nous soyons à nouveau un pays libre et souverain de décider entre Français de notre sort commun. Donc la sortie de la prison UE et de sa vile monnaie prime sur toute autre considération.
Voilà un article sensible et intelligent. JSF a raison : la question du régime n’est pas posée, mais elle transparaît entre les lignes.
Le drame c’est qu’il y a plus que je n’en ai jamais vu des exaspérations et surtout des incompréhensions entre Français. même aux temps où la lutte avec la Gauche et ses extrémités étaient intenses, la rupture civilisationnelle était moins aiguë.
Bien. Je tiendrai quitte l’auteur de l’article pour son attribution d’une présumée citation d’Aragon à Paul Eluard. En un sens, ça reste dans la famille.
En revanche, le commentaire de Cording me semble confiner à la polémique langagière plus que ses raccourcis ne se rattachent à l’Histoire.
Je veux bien que Vichy ait été pour une large part un régime fantoche. Il ne lui restait plus guère de moyens d’être autre chose. Pas un mot toutefois sur le régime fantoche lui aussi – mais sans l’excuse d’une défaite déjà accomplie – qui a amené au plus grand désastre de notre histoire, à l’occupation du territoire et … à Vichy à qui il est si commode de transférer la responsabilité du dit désastre. Le respect de la chronologie, de la suite des causes et des conséquences, ne fait de mal à personne.
Il serait bon d’autre part de ne pas rajouter trop de couches sur le mythe de la Résistance, en vogue dans une certaine AF d’aujourd’hui. Sur ce qu’elle fut vraiment dans ses différentes époques et composantes, il y aurait à y regarder d’un peu près pour ne pas donner dans les facilités de la doxa. Zemmour le fait avec plus de savoir et plus de courage qu’on ne le fait à l’AF trop souvent.