Face à l’affaire Matzneff qui ne cesse de s’amplifier, Patrice de Plunkett, rappelle à la doxa parisienne ses responsabilités qui sont lourdes. Nous partageons tout à fait son analyse menée avec nuance et lucidité. JSF
Trente ans après, l’effacement des normes (en tous domaines sauf désormais la pédophilie) est toujours la doxa parisienne :
Il y a de l’idéologie dans tout ce sordide : et en dépit des changements de look, c’est la même depuis cinquante ans ! C’est toujours l’idéologie globale de la « déconstruction », du sans-limite, de l’individualisme narcissique et des “normes à effacer”. Elle a pris le pouvoir après 1990 et le garde aujourd’hui – au prix de quelques mues : par exemple elle a cessé d’inclure la pédophilie, sous la pression du public qui fait de cette question le seul tabou… alors que les autres “tabous” (paternité, maternité, filiation etc) sont brisés par l’engrenage sociétal du libéralisme, dont l’idéologie des nouvelles moeurs est l’accompagnatrice.
D’où maintenant la gêne, risible, des commentateurs parisiens de l’affaire Matzneff. Témoin Libération qui bat sa coulpe ce matin : son directeur reconnaît que le journal publiait jusque dans les années 1980 des textes “révoltants” (dit-il) en faveur de la pédophilie. Il en indique les causes, mais assure qu’elles sont périmées : “Culture libertaire dirigée contre les préjugés et les interdits de l’ancienne société…” “Esprit répandu à l’époque qui tendait à dénoncer toute réminiscence de l’ordre moral…” “Il était entendu dans certains cercles que toute loi, toute norme, renvoyait à l’exercice d’un pouvoir oppressif, omniprésent et diffus […] au profit de la domination multiforme qui structurait la société capitaliste…”
Faisons observer à cet éditorialiste deux choses :
► l’idée que l’ordre moral (le “patriarcat”, dirait Mme De Haas) vienne du “capitalisme” n’a nullement disparu : elle est toujours à la mode dans l’aile gauche du #MeToo – en dépit du fait que cette idée aurait fait crouler de rire le vieux Marx ;
► en 2019 l’effacement de “toute norme” est toujours d’actualité : c’est la stratégie revendiquée par le LGBTQ+ libéral-libertaire ! (Voir les interventions Eribon-Borillo-Fassin au colloque de l’IRIS à l’EHESS [1] en avril 2013 : ce qui montre le lien étroit entre le LGBTQ+ et le néolibéralisme sociétal au pouvoir dans tout l’Occident)…
Ce dernier point fragilise le raisonnement de l’éditorialiste quand il dit que son journal a changé de ligne : “ ‘Libération’ se recommande désormais de la logique des droits humains, appuis solides des démocraties qui prescrivent l’égalité des dignités et s’étendent, par là même, aux enfants…” Si leur “dignité” est aussi bien garantie que celle des personnels hospitaliers ou des salariés de Whirlpool, les enfants seront en danger. Et si “les démocraties” n’ont d’autre “appui solide” que des “droits humains” instables, mal fondés et toujours mouvants dans le monde néolibéral, ce sont les citoyens qui seront en danger.
On voit aussi la fragilité des excuses invoquées en 2019 par les personnalités parisiennes qui jadis encensaient Gabriel Matzneff… Ainsi Bernard Pivot : “Dans les années 1970 et 1980, la littérature passait avant la morale ; aujourd’hui la morale passe avant la littérature…” Comme si (dans tous les domaines sauf la pédophilie) “aujourd’hui” ne poursuivait pas le chantier d’arasement des normes ouvert en 1970 et 1980 ! Et comme si la triade Barthes-Sartre-Beauvoir, qui pétitionnait en 1975 pour la pédophilie, n’était pas toujours l’objet en 2019 d’une révérence automatique en tant qu’Olympe de la pensée…
“La notion de majorité sexuelle est instaurée pour la première fois en 1832, à 11 ans. Elle sera progressivement augmentée à 15 ans en 1945”, souligne à juste titre l’historienne Virginie Girod. Elle oublie de dire que le courant post-68, inventeur de la disruption, a rejeté justement “l’ancien monde” (en tant qu’ancien) dans tous les domaines : notamment celui des lois et des moeurs… Renverser les “frontières d’âge” faisait partie de cette idéologie de “rupture” qui n’allait plus cesser de croître, dans une spectaculaire continuité du combat pour… la discontinuité. C’est ainsi, dit le sociologue Pierre Verdrager, que “le journal de Matzneff est à la pédophilie ce que les carottes glaciaires sont à la climatologie”.
L’affaire Matzneff n’a donc pas fini de faire des dégâts dans le paysage parisien, et de la gauche à la droite ! En 1990 encore, sur France 3, Philippe Sollers traitait de “connasse” la journaliste canadienne Denise Bombardier parce qu’elle avait osé attaquer Matzneff (invité pour la cinquième fois chez Pivot) sur sa pédophilie… En 1999, Pierre Marcelle, ancien trotskiste tombé – comme tant d’autres – dans une gauche réduite au libéralisme des mœurs, traitait rétrospectivement Mme Bombardier de “torquemadesque” et l’assimilait à “Christine Boutin”… Mais à la même époque, Matzneff était aussi la coqueluche de milieux moins corrects : il était régulièrement invité à Radio Courtoisie et célébré dans la presse de droite, non comme abuseur d’enfants mais comme bel écrivain orthodoxe ! L’iconostase leur cachait la pédophilie.
Sur une photo de 1986, le jeune et brillant Gabriel pose dans son bureau. Au mur, derrière lui : une grande photo pédopornographique ; une photo de Nietzsche ; une photo de Dostoïevski [2]. A ses petites amantes le grand auteur apprenait le Notre Père en russe, révèle Vanessa Springora ! Dandysme et imposture… Matzneff était un cas-limite.
Mais n’oublions pas le contexte. ■
[1] voir nos notes ici : http://plunkett.hautetfort.com/archive/2014/01/31/gbt-et-universite-la-question-qui-n-existe-pas-selon-vincent-5286622.html#more
[2] Manque apparemment une photo de Montherlant, dont Matzneff avait dispersé les cendres à Rome sur le Forum en 1972 (d’où le dessin du Canard enchaîné : « Docteur, il y a là un M. Matzneff qui a une poussière dans l’oeil… ») La biographie de Montherlant par Pierre Sipriot le montre en pédophile associé à Roger Peyrefitte.
Matzneff n’ a jamais sa caché sa fascination pour Dostoïevski, plus précisément , hélas pour ses héros négatifs , et mêmes démoniaques, plus pour Svidrigäilov et Stavroguine ( qu’ il cite nommément) que pour Aliocha, le héros lumineux , même s’il sait évoquer admirablement les Pères de l’ Eglise . A-t-il compris que toute l’œuvre de Dostoïevski était secrètement d’exorciser notre part sombre, de dépasser notre incomplétude ?: » Ici commence une nouvelle histoire » l’épilogue de Crime et Châtiment.
Matzneff me fait penser à ces adolescents américains qui se croient Spiderman et sautent du cinquième étage d’un immeuble. N’a-t-il pas confondu la littérature avec sa vie ?. Adolescent, et c’est son charme, Matzneff l’est resté toute sa vie, comme ….ses « victimes « « Mais lui aussi s’est fracassé à terre.
Patrice de Plunkett. .a raisons de souligner l’incohérence de la gauche désespérément morale ( surtout pour Billancourt !) dans sa volonté rageuse de déconstruction. . Elle aussi est restée au stade de l’adolescence, qui ne veut jamais mûrir et prendre ses responsabilités.
Je dois ajouter que la curée contre lui me gêne énormément pour de multiples raisons e t que sans rien justifier, j’aurais plutôt tendance à prier pour lui.
Bravo, Henri, pour ce deuxième message ; c’est exactement ce qu’il faut dire.
Quant à l’article de Plunkett, ce n’est pas d’hier qu’on le connaît brillant (mais j’ignorais qu’il avait un blog).