PAR PIERRE BUILLY.
Lacombe Lucien de Louis Malle (1974)
Brève vie d’un jeune homme ordinaire
Résumé : En juin 1944, Lucien Lacombe, jeune paysan du Lot, qui ne doit pas avoir 18 ans, faute de pouvoir rejoindre la Résistance, entre presque par hasard, dans un groupe de gestapistes français. Il est grisé par le pouvoir de terreur qu’il inspire. Il souhaite alors séduire France Horn, jeune fille juive dont la famille s’est réfugiée dans la région.
Un homme d’esprit a écrit : « Je me suis toujours demandé s’il n’y entrait pas une part d’embarras, de gêne – commune aux communistes et aux gaullistes – de voir à l’écran cette France profonde tellement profonde que c’en est à s’arracher les cheveux » ; il y a de ça, sûrement, et beaucoup, mais c’est là l’itinéraire de Patrick Modiano, dont le succès a été éclatant, dès la parution en 1968, de La place de l’étoile. Discours complexe sur une réalité complexe.
Si Modiano, Juif par son père, consacre ses trois premiers romans (La place de l’étoile, donc, puis La ronde de nuit et Les boulevards de ceinture) à la période de l’Occupation, ce qui le fascine, ce n’est ni la Guerre, ni la Résistance, ni même la Collaboration mais bien davantage le monde trouble où tout est possible, où intellectuels, acteurs de cinéma, margoulins, idéologues, trafiquants, hommes de main se côtoient et se mélangent sans que des fils solides puissent être tirés et, surtout, sans qu’on puisse faire une lecture claire des motivations.
Dans l’hôtel qui est le siège de la bande de Lucien, il y a tout cela : fils de famille décavé, starlette, ancien champion cycliste, antisémite obsessionnel, types qui se sont mis « du bon côté du manche »… « Qui se sont mis » ? Pas sûr, même : il y a une bonne part de hasard, une part essentielle, même !
Lucien part pour s’engager dans la Résistance parce qu’il ne supporte pas l’amant de sa mère ; ça pourrait marcher, et on l’aurait retrouvé, quelques mois plus tard, tondant des femmes et massacrant des collabos sans jugement. Mais ça ne marche pas, parce que l’instituteur qu’il va voir n’a pas confiance, ou le trouve trop jeune… Et il va dans l’autre camp, qui n’est pas même un camp mais un ramassis de canailles, mais des canailles inspirées par des tas de raisons différentes…
Lucien est un sauvage, au sens ancien du terme ; capable d’attentions charmantes et des pires cruautés ; pris par la montée de l’inévitable ; à partir du moment où il rencontre France et le vieux Horn, il n’y a pas de raison que sa cavale s’arrête…
Patrick Modiano a toujours porté son regard sur ces zones troubles, sur ces milieux réunis par d’improbables hasards ; il laisse bien peu de part à la liberté humaine, et la plupart de ses personnages subissent ce qu’on pourrait appeler une constance de l’inéluctable. Le mérite de Louis Malle est d’avoir su faire sentir cette complexité fondamentale… A la fin, est-ce qu’il ne semble pas que France (Aurore Clément) aime Lucien ?
Et l’image de France portant une pierre au dessus de Lucien endormi que je n’ai pas oubliée, ne me fait pas revenir sur mon interrogation ; que toute une partie de l’être de France haïsse et méprise Lucien, c’est évident ; qu’elle ait trouvé en lui, outre l’initiateur, un protecteur et un dérivatif aux temps épouvantables, bien entendu !
Qu’il ne se glisse pas là-dedans, au milieu de la répulsion, une large dose de fascination, c’est autre chose ; ce ne serait tout de même pas la première fois que ce genre de sentiments ambivalents serait montré… ■
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