Ces rubriques de JSF (Dans la presse et Sur la toile) sont destinées à ne pas nous satisfaire de l’entre-soi. A être familiers des analyses et de la pensée de ceux qui nous entourent, parfois très proches, parfois adversaires. Nous nous y enrichissons et souvent nous créons par là des contacts qui portent leurs fruits. Car nos idées, nos articles, aussi séduisent, bien au-delà de nos cercles. Ainsi, d’ailleurs de Zemmour lui-même, à l’évidence. Parfois plus – ou mieux – Action Française que nous ! Mais pas tout à fait tout de même.
Zemmour dénonce ici l’inculture générale organisée par nos soi-disant élites. En partie à l’aune de leur propre ignorance. [Figaro du 16.01). Zemmour nous dit ici ce que nous savons déjà. Nous savons aussi que le cycle de l’ignorance est peut-être en train de passer, en tout cas d’être contesté, et que les plus jeunes générations, notamment chez les jeunes d’aujourd’hui qui se veulent royalistes, affirment leur soif d’apprendre, de connaître, de comprendre. Ils auront du chemin à faire. Ils devront se déprendre des attraits artificiels ou plutôt de la tyrannie aliénante des réseaux sociaux et des écrans, retrouver le goût de la lecture heureuse, des Arts, du Beau, de la magie des vrais voyages… Voyez à cet égard l’attrait qu’exercent sur un vaste public les livres et les récits d’un Sylvain Tesson qui ressuscite Homère en ce moment pour des millions d’auditeurs … Et plutôt que des vertiges de l’intelligence artificielle, les générations nouvelles aimeront à recouvrer l’exercice oublié de la leur, qui n’est ni supérieure ni inférieure à celle des hommes des temps passés. JSF
C’était écrit d’avance. L’ENA n’est pas encore morte qu’on annonce la suppression de sa célèbre épreuve de culture générale ! On peut dire ce qu’on veut de nos élites, mais pas qu’elles manquent de constance. Depuis des années, elles nous rabâchent que la culture générale est « discriminante », « stigmatisante ».
Chacun va récitant son Bourdieu : la culture générale est synonyme de ce que les marxistes appelaient naguère la culture bourgeoise.
Et voilà pourquoi les enfants des classes populaires, et surtout ces malheureux enfants d’immigrés, ne parviennent pas à intégrer les grandes écoles. De droite ou de gauche, nos politiques ont retenu la leçon : c’est Sarkozy qui se moque de la Princesse de Clèves ou Hollande qui avoue son mépris pour les romans. À Sciences-Po, il y a belle lurette que les dirigeants ont éradiqué cette maudite, cette pelée, cette galeuse. On n’a pas constaté une transformation radicale de l’origine sociale des élèves. Les émules de Bourdieu n’avaient pas remarqué que les enfants de la bourgeoisie ne lisaient désormais guère plus que leurs homologues des classes populaires. De guerre lasse, la direction de l’école a carrément supprimé le concours. Ce qui lui permettra de modeler à sa guise les promotions d’étudiants.
Nos élites ont de la constance et une obsession : les enfants d’immigrés. Quand les banlieues flambent, ils prennent aussitôt des mesures « inclusives », quitte à tordre les principes de la méritocratie. Quand elles ne flambent pas, dédaignant ostensiblement la révolte « franchouillarde » des « gilets jaunes », cela finit quand même par des mesures « inclusives » !
Les « gilets jaunes », depuis leurs ronds-points, n’avaient jamais réclamé la suppression de l’ENA, encore moins celle de l’épreuve de culture générale. On nous explique que cela permettra aux enfants d’immigrés d’entrer à l’ENA ; et ainsi, comme dit le président Macron, les élites ressembleront à la France d’aujourd’hui. Mais est-ce leur rôle ? Doivent-elles représenter la France ou la diriger ? La culture générale est ouverte à tous, quelle que soit son origine ou sa condition sociale. Encore faut-il le vouloir et s’en donner la peine. Rien de plus aisé que d’ouvrir un livre de Chateaubriand, Hugo ou Balzac. C’est ainsi qu’on acquiert une meilleure expression écrite et orale. C’est ainsi qu’on affine sa manière de penser et de raisonner. Lire un grand écrivain, c’est converser avec les esprits les plus subtils des siècles passés. C’est se confronter à ce que la France a produit de meilleur. C’est devenir français.
Nos élites dirigeantes, qui évoquent de Gaulle pour un oui ou pour un non, devraient se souvenir de ces mots du Fil de l’épée : « La véritable école du commandement est celle de la culture générale […] Pas un illustre capitaine qui n’eût le goût et le sentiment du patrimoine et de l’esprit humain. Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote… » ■