PAR PIERRE BUILLY.
Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006).
Transformer une vie en destin
Présentation
En 2006 la fille du grand Francis Ford Coppola (la trilogie du Parrain, Apocalypse now, Dracula) entreprend de réaliser un énième film consacré à la Reine Marie-Antoinette, dont le destin tragique a depuis toujours séduit les écrivains et les cinéastes.
Sofia Coppola a déjà réalisé deux miracles de films, intelligents et justes, Virgin suicides (1999) et Lost in translation (2003), films qui ont été des succès publics et critiques.
Pour tourner Marie-Antoinette, elle bénéficie de très importants moyens de production ; elle veut aussi montrer combien la jeune dauphine, puis la jeune souveraine apportait un vent de fraîcheur à une Cour qu’elle jugeait un peu compassée.
Dès l’abord le film, dont la diffusion a dépassé très largement le cercle habituel du cinéma historique, a surpris, voire décontenancé. J’avais pensé à l’époque, sur un autre site, remettre un peu en perspective ce qu’on en pouvait penser. Mes premiers propos avaient été écrits avant même ma découverte du film, sur la seule foi des journaux.
Au fait le film ne la présente que de son arrivée en France, le 7 mai 1770 au départ de la famille royale de Versailles le 5 octobre 1789.
Le film et l’Histoire
Sans avoir (encore) vu le film, il faut que je réagisse un peu sur certaines appréciations de certains critiques de cinéma, qui semblent oublier qu’en matière historique, l’anachronisme est moins dans le nombre de boutons de culotte de la tenue d’un Garde-française que dans l’envie de plaquer nos habitudes de pensée sur des préoccupations que nous ne pouvons pas saisir ; c’est ainsi que Louis Pauwels disait fort justement que, si un chevalier du haut Moyen Âge était précipité à notre époque, il serait sûrement moins étonné de l’existence de l’arme atomique que du fait que l’on ne s’en serve pas pour délivrer le Saint-Sépulcre des Infidèles.
Que l’on se penche sur la jeunesse d’un personnage dont on connaît l’épouvantable destinée est une chose intéressante et je suis bien le dernier à ne pas réprimer mon émotion devant le sort immonde réservé à Marie-Antoinette. Mais Marie-Antoinette, AVANT d’être une jeune fille, puis une femme c’est tout de même, d’abord, la Dauphine, puis la Reine, c’est-à-dire quelqu’un qui ne s’appartient pas ; ça peut largement choquer à notre époque qui se préoccupe de développement personnel et d’individualité harmonieuse, mais c’est ainsi : elle n’a pas été envoyée en France pour rigoler, ou pour prendre le bon air, mais pour sceller une alliance difficile.
Car – on n’en parle jamais beaucoup – quelque chose de fondamental s’est passé le 1er mai 1756, un coup d’audace diplomatique qui est un véritable coup de tonnerre en Europe : c’est ce qu’on a appelé le « Renversement des Alliances » : l’Autriche et la France enterrent officiellement une rivalité de 250 ans qui remonte à Charles Quint et François Ier, rivalité née de la prétention des Habsbourg de reconstituer l’Empire – romain et/ou carolingien – et d’attenter à l’indépendance du Royaume de France.
Pendant 250 ans, l’ennemi héréditaire a été l’Autriche, et toutes les actions et alliances des Rois de France – celles de François Ier avec les Ottomans comme celles de Louis XIV avec les princes protestants d’Allemagne ont été guidées par cette obsession de desserrer l’étau qui, du temps de Charles Quint encerclait complètement notre pays.
Vers 1750, on respire : les Provinces Unies hollandaises sont fermement établies, un Bourbon règne sur l’Espagne ; le danger autrichien est muselé. Mais, parallèlement, une autre puissance est en train de monter en régime, sur le Continent : la Prusse, et c’est cette puissance-là qui va constituer, on le sent, le danger majeur des décennies à venir. D’où la manœuvre, conduite de main de maître par Choiseul, consistant à désormais se battre à fronts renversés.
Mais ça ne se passe pas très bien, parce que ça arrive un peu tard, en réaction à une alliance entre la Prusse et l’Angleterre et que ça débouche sur les revers de la Guerre de 7 ans et du Traité de Paris.
Et puis aussi, parce que ce changement de main heurte et choque l’opinion : celle de l’intelligentsia de l’époque, Voltaire et les encyclopédistes qui voient en Frédéric II, le roi de Prusse, l’archétype du despote éclairé, dont ils appellent la venue de tous leurs vœux, mais aussi celle du bon peuple, qui demeure ancré dans l’idée que l’Autrichien est l’ennemi héréditaire.
D’où l’idée d’unir les destinées du Dauphin et d’une fille d’Autriche : qu’on ne s’étonne pas : pendant des siècles, les mariages ont été le meilleur substitut aux guerres, et le grand-père de Louis XVI, Louis XV, en épousant Marie Leczinska a attaché sans coup férir la Lorraine à la France à la mort de son beau-père.
En 1770, le Dauphin a seize ans lors de son mariage, la Dauphine quinze ; il est orphelin, elle vit dans une Cour éclatante, mais loin de son pays et elle a pour mission de contribuer à sceller un rapprochement historique, mais qui comporte bien des incertitudes et bien des méfiances : comment s’étonner que, dans une époque aussi bouillonnante, dans une atmosphère brillante mais rien moins que tendre, il n’y ait pas des excès de prodigalité, une envie d’une gamine d’envoyer promener l’étiquette et les obligations de son état, même si elle sait depuis toujours que sa vie sera une représentation permanente ?
« La tragédie de la mort est en ceci qu’elle transforme la vie en destin. » a écrit André Malraux. L’espièglerie de l’adolescente capricieuse et insupportable, dépensière et insouciante va peu à peu se dissoudre dans la vie toute de devoir de Reine de France – donner des héritiers mâles à la Couronne ce qu’elle fait, (après que Louis XVI a été opéré d’un phimosis) à 26 ans – (ce qui est tard, mais Anne d’Autriche a donné jour à Louis XIV à 37 !) – puis dans la torture de l’enfermement au Temple et dans l’assassinat rituel du 16 octobre 1793. [À suivre, 2ème partie, demain dimanche] ■
DVD autour de 9 €
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« Les méchants font leur métier en faisant le mal mais les honnêtes gens ont si peu de courage, de tenue qu’ils deviennent souvent aussi dangereux. Ils prêtent le flanc à toutes sortes d’intrigues, ils se laissent pénétrer, ils sont toujours disposés à des concessions qui demain leur en feront arracher d’autres. »
Extrait de l’une des dernières lettres de Marie-Antoinette, Reine de France
Rappelons que la Révolution préparée par la femme pour être l’avènement de la justice ne fut, finalement, que l’avènement d’un système bâtard qui vint détruire l’ancien régime, mais ne le remplaça pas par ce que la femme avait rêvé.
Lien : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/la-revolution-resurrection.html
Preuve que la monarchie finissante ne manquait pas de lucidité. En tout cas pas autant qu’on l’a dit. L’énoncé de la reine ressemble fort à ce que dira Bainville bien plus tard sur la politique des concessions qui prévalut alors. Et en bien d’autres circonstances plus tard … Merci de ce commentaire.
L’alliance autrichienne était de salut public. Pourtant elle ne fut jamais appliquée sans arrière-pensées. La politique de Vergennes, notamment à l’égard des Insurgents, stérilisa le projet. Vergennes et Maurepas ont désarmé la monarchie française, à un moment où il y avait beaucoup à gagner. L’intervention prussienne aux Pays-bas, insultante pour la France, et la paix de Teschen, sans intérêt pour nous, en furent la sanction.
Malgré quelques défauts ( une du BARRY franchement vulgaire) , le film de Sophia COPPOLA nous a montré une Marie Antoinette jeune;, espiègle, insouciante, mais charmante. Elle a eu la bonne idée d’arrêter le film à Octobre 1789, donc nous ne voyons pas la déchéance imposée à la malheureuse Reine par la racaille révolutionnaire
@ Setadire : La comtesse du Barry, interprétée, chez Sofia Coppola par Asia Argento, fille du grand réalisateur de films terrifiants Dario Argento (« Quatre mouches de velours gris », « Suspiria », « Argento ») possède en effet une physionomie très « charnelle » (plutôt que vulgaire).
Mais comment imaginez-vous qu’était la comtesse du Barry, née Jeanne Bécu, issue d’un milieu assez léger, vraisemblable fille d’un moine et qui a commencé sa carrière dans le demi-monde ? Cela étant, tous à s’accordent à lui reconnaître du bon goût ; on dit que c’est elle qui révéla le talent de Claude Ledoux.
Et on l’a guillotinée en décembre 1793.