PAR PIERRE BUILLY.
Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006).
Transformer une vie en destin
Retrouvez la 1ère partie de cette chronique …
Enfin je suis allé voir au cinéma Marie-Antoinette ; je n’en ai pas été absolument satisfait mais aucunement déçu ; de toute façon il faut toujours avoir une certaine complaisance pour un film lorsque Versailles, plus beau palais qu’on ait jamais vu sous le ciel, y est aussi bien filmé voilà qui donnera sans doute envie à de riches mécènes américains de mettre sans discontinuer la main à la poche pour approfondir son interminée restauration.
Pourtant j’ai été un peu déçu par la façon de filmer de Sofia Coppola.
La plupart des avis critiques me semblent très pertinents et justifiés ; rien que pour démontrer l’évidente supériorité de l’enseignement d’avant 68, j’ajouterai avec un zeste de pédantisme (un gros zeste, même) que le Duc d’Angoulême, dont la naissance en 1775, plonge, à assez juste titre Marie-Antoinette dans la désolation, puisqu’elle est « devancée » par une de ses belles-sœurs, n’est pas le fils du Comte de Provence (futur Louis XVIII) qui n’a pas eu d’enfant, mais bien celui du Comte d’Artois (futur Charles X) ; on s’étonne que les nombreux conseillers historiques qui ont entouré Sofia Coppola aient laissé passer cette baliverne.
Je n’ai pas été choqué par la paire de chaussures Converse qui apparaît à un très court instant, mais bien davantage par la présence – incongrue et politiquement correcte – de deux noirs, l’un qui assiste au mariage des deux époux, au second rang des courtisans, au milieu des ducs et pairs, l’autre qui est maître de clavecin. À quoi cela rime-t-il ?
J’ai trouvé niais de présenter le Sacre (le Couronnement) de Louis XVI comme s’il avait eu lieu à Versailles, alors que tout un chacun sait bien que c’est à Reims que ces choses sérieuses-là se passaient, puisqu’y était conservée la Sainte Ampoule, apportée du Ciel par une colombe au moment du Sacre de Clovis par Saint Rémi.
Et puis on aurait pu expliquer un peu ce qu’est ce deuil qui enténèbre toute la famille royale à la fin : ou bien je me suis endormi un court instant, ou bien on ne dit pas une seconde que c’est le petit garçon qu’on avait vu naître, en octobre 1781, Louis, Joseph, qui est mort le 4 juin 1789 et que c’est son petit frère, Louis, Charles, né en mars 1785, que Marie-Antoinette prend dans ses bras au moment où s’ébranle le cortège funèbre ; ce petit garçon qui a perdu son aîné, c’est le futur Louis XVII, l’enfant persécuté de la prison du Temple, où il mourra en juin 1795.
Mais surtout, sous ce chapitre de la véracité historique, et en sus des anomalies relevées, ce qui m’irrite c’est, comme d’habitude, le sort fait à Louis XVI, ici représenté par un acteur estimable, mais nullement conforme à l’image qu’il pouvait avoir ; car Louis XVI était un colosse, de 1,93 mètre, ce qui devait le rendre pataud et timide, mais sûrement pas lui donner cet air de gazelle endormie.
Bon. Ces babioles étant dites, l’important, c’est tout de même le film ; et là on a l’impression que Sofia Coppola s’est trouvée devant à la fois un sujet et un budget trop grands pour elle, qui est vraiment jeune.
Et ça donne une accumulation de scènes souvent très joliment filmées, mais distendues, sans rythme et sans pensée. L’idée d’une petite fille étrangère jetée par un Destin qui la dépasse dans une grande tragédie était intéressante, et le début du film, avec l’abandon exigé de ce qui la rattache à l’Autriche n’est pas mal du tout ; mais ensuite, ce ne sont que scènes jolies sur scènes romanesques, et ça ennuie un peu à la longue.
Restent les dernières images, le populo à Versailles, le 5 octobre 1789, et la calèche qui conduit la famille royale à Paris le lendemain. Et l’adieu de Marie-Antoinette aux belles allées de hêtres et de peupliers.
C’est un peu mince. [Suite et fin] ■
DVD autour de 9 €
Retrouvez l’ensemble des chroniques hebdomadaires de Pierre Builly publiées en principe le dimanche, dans notre catégorie Patrimoine cinématographique.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source