PAR PIERRE BUILLY.
Anne des mille jours de Charles Jarrott (1969).
Perfide Albion
Lorsque j’étais un tout petit garçon – ce qui remonte presque à avant le Déluge ! – , j’étais absolument persuadé que le modèle du terrifiant personnage de Barbe-bleue, le monstre sanguinaire du conte de Perrault était évidemment Henry VIII d’Angleterre.
Comme un parfait exemple d’inimaginables débauches, ma mère me citait la torrentueuse litanie des six épouses du gros Roi (178 kilos à sa mort), faisant naturellement abstraction de ses nombreuses maîtresses. Elle en profitait, naturellement, pour insuffler à notre cœur vaillant la méfiance envers le Godon, qui depuis Jeanne d’Arc et jusqu’à Mers-el-Kébir, en passant par Waterloo et Fachoda, n’a jamais été en odeur de sainteté chez nous. Le terrifiant glouton était le parfait repoussoir dont nous avions besoin. Ce n’est que bien plus tard que j’ai entendu parler de Gilles de Rais, seigneur de Tiffauges et compagnon de Jeanne d’Arc dont les crimes sanglants dépassent de beaucoup les vaticinations amoureuses du souverain Tudor.
Henry VIII n’avait rien pour nous plaire ; d’abord il avait snobé notre beau Roi chevalier François Ier, ce géant de près de deux mètres qui lui avait proposé, contre Charles Quint, une alliance intelligente. Et plus encore ses appétits amoureux démesurés lui avaient fait quitter le giron de la Sainte Église pour le Schisme, qui allait ensuite, tout naturellement, dégringoler vers l’Hérésie. Rien de tout cela n’est évoqué avec profondeur dans Anne des mille jours, dont le beau titre dit seulement l’exclusive orientation du film : le désir démesuré d’Henry (Richard Burton) pour la jeune Anne Boleyn (Geneviève Bujold) puis le désamour sanglant qui suivra l’incapacité de la Reine à donner un héritier mâle à la Couronne.
Il y a un côté fascinant à voir l’ogre glouton béer d’admiration pour la jeune fille, la vouloir, comme un enfant capricieux, et la cueillir auprès de ses parents, espèces de marchands d’esclaves, au détriment de la sœur aînée d’Anne, Mary (Valerie Gearon), tout cela sous le regard accablé et fier pourtant de la première épouse d’Henry, Catherine d’Aragon (Irène Papas). Tout cela est filmé avec un très grand luxe de moyens : les décors et les costumes sont de toute beauté, les figurants sont en nombre congru, et les seconds rôles tiennent tout à fait leur partie.
On peut néanmoins regretter, à ce sujet, que leur fonction historique ne soit pas davantage explicitée. Je souhaite bien du plaisir à qui n’aura pas une connaissance élémentaire de l’histoire d’Angleterre et du contexte diplomatique de l’époque. Je sais bien qu’un film historique n’a pas forcément vocation à être scolaire, mais le rôle du cardinal Thomas Wolsey (Anthony Quayle), du conseiller Thomas Cromwell (John Colicos), du chancelier Thomas More (William Squire) sont tout de même un peu trop sommairement présentés. D’autant qu’on connaît mal, en France, l’histoire d’Angleterre, brouillée par le grand nombre et la complication des successions dynastiques, nos voisins n’ayant pas eu l’intelligence de réinventer – ou plutôt d’aller chercher dans de vieux textes – la loi salique, opportunément ressuscitée pour éviter que règne sur notre pays un souverain étranger, lors de la disparition du dernier des Capétiens directs, Charles IV, en 1328.
Geneviève Bujold, qui est tour à tour mutine, capricieuse, joueuse, chafouine, impérieuse, ambitieuse, pathétique est absolument exemplaire dans le rôle d’Anne Boleyn. Mais Richard Burton est, lui, admirable, sachant faire passer aussi bien dans l’enfantillage que dans la violence et la cruauté la singulière personnalité d’Henri VIII.
Le film aurait pu ajouter que Jane Seymour (Lesley Paterson), pour qui Henry VIII sacrifiera Anne, lui donnera un fils avant de tôt mourir, qui régnera sous le nom d’Édouard VI, mais que ses deux filles, Mary – Bloody Mary – (Nicola Pagett), issue de son mariage avec Catherine d’Aragon et la petite Elizabeth, que l’on voit aux dernières images (Amanda Jane Smythe) et pour qui Anne Boleyn aura refusé de divorcer sera la grande Elizabeth Ière, la Reine vierge qui restera sur le trône pendant 44 ans jusqu’en 1603. ■
DVD autour de 15 €
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