Ces rubriques de JSF (Dans la presse et Sur la toile) sont destinées à ne pas nous satisfaire de l’entre-soi. A être familiers des analyses et de la pensée de ceux qui nous entourent, parfois très proches, parfois adversaires. Et qui exercent une influence forte sur l’opinion et l’intelligence françaises. A condition d’exercer notre réflexion propre, nous nous y enrichissons et souvent nous créons par là des contacts qui portent leurs fruits. Car nos idées, nos articles, aussi séduisent, bien au-delà de nos cercles. Ainsi, d’ailleurs de Zemmour lui-même, à l’évidence. Parfois plus – ou mieux – Action Française que nous ! (Mais pas tout à fait tout de même). Nous ne reprenons pas ces analyses venues d’autres médias en les multipliant pour faire nombre. Nous les choisissons pour leur intérêt politique et leur utilité pour l’expansion de nos idées. Nous les discutons…
A propos de l’Allemagne dont traite Zemmour ici, une question importante peut se poser. Faut-il craindre la montée, inexorable selon Zemmour, de l’AfD outre-Rhin, comme l’on pouvait redouter à bon droit la montée du nazisme dans les années 30 du siècle dernier ? A très long terme, on ne sait rien, tout est toujours possible. Dans l’actualité, selon nous, et pour assez longtemps, la réponse est non. L’AfD ne nourrit aucune visée expansionniste ou revancharde. Rien à voir donc avec la situation de l’avant deuxième guerre mondiale. La principale raison d’être des membres de l’AfD est de s’opposer à la vague migratoire massive qui menace de submerger leur pays et le nôtre. En l’occurrence, ce sont, sur ce strict plan, des alliés devant l’urgence. La crainte de l’AfD nous paraît donc relever, en l’état, d’une vision politique frappée d’obsolescence. En outre, l’on sait que pour se lancer dans des aventures extérieures, il faut un peuple jeune et une armée. L’Allemagne d’aujourd’hui n’a ni l’un ni l’autre.
La CDU est condamnée à mort et la montée de l’AfD, inexorable.
Il est au moins un domaine où l’Allemagne a vingt ans de retard sur la France: la politique. L’épisode de Thuringe où des élus de la CDU ont accepté celles des populistes de l’AfD, provoquant un charivari médiatique et politique et la démission de la présidente de l’Union chrétienne démocrate, rappelle furieusement les élections régionales françaises de 1998.
Alors, quatre présidents de région de droite (RPR ou UDF) avaient accepté les voix du Front national pour être élus. Leurs noms sont largement oubliés aujourd’hui: Charles Millon, Jean-Pierre Soisson, Jacques Blanc et Charles Baur ; mais depuis, plus aucun membre de la droite, que ce soit sous le nom de l’UMP ou de LR, n’a osé les imiter. À l’époque, le président Jacques Chirac, celui du RPR, Philippe Séguin, et son numéro 2, Nicolas Sarkozy, étaient très fiers d’avoir expulsé les rebelles et fait respecter par les autres le «cordon sanitaire» entre la droite et «l’extrême droite».
Les Allemands en général, et la CDU en particulier, devraient regarder avec effroi le sort qui leur est promis. Le passé de la droite française est leur avenir. C’est-à-dire leur lente et inexorable dégringolade au détriment du Front national. De même, la CDU est condamnée à mort et la montée de l’Af , inexorable. Comme les partis de la droite française, la CDU ne comprend pas qu’on a changé d’époque. Que les pages du passé, même hitlérien, sont nécessairement tournées. Comme le duopole RPR-PS, et même de manière plus ordonnée que lui, le duopole CDU-SPD date d’un temps où les problématiques étaient économiques et sociales, et où l’émergence d’une large classe moyenne assurait une stabilité sociale rassurante.
La mondialisation a bouleversé nos pays. La classe moyenne est déstabilisée, prolétarisée, laminée. L’immigration du sud a pris une ampleur effrayante. La question sociale ne concerne plus la répartition des fruits de la croissance entre bourgeois et ouvriers, mais des fractures entre France (ou Allemagne) des métropoles et France périphérique. L’ancienne RDA est l’Allemagne périphérique, qui n’a pas les mêmes valeurs que l’Ouest, largement soumis aux diktats de la «société des individus» née dans les années 1960.
Comme la droite française de Chirac, la CDU de Merkel a ressemblé à un parti de gauche aux yeux d’un nombre croissant de ses électeurs. Comme la droite de Sarkozy, la droite allemande de Merkel n’a jamais osé prendre à bras-le-corps la question migratoire et a semblé accepter, dans les faits, la création d’enclaves étrangères sur leur territoire national et la montée des violences. La mort annoncée de la CDU a été précédée par celle du SPD, exactement comme en France, celle du PS à la présidentielle de 2017, a précédé l’effondrement de LR aux européennes de 2019.
Les deux partis gouvernaient ensemble en Allemagne et faisaient la même politique en France. Un nouveau clivage va sans doute peu à peu s’organiser autour du duel entre les populistes nationalistes de l’AfD et les écologistes internationalistes des Verts. Entre ceux qui ont peur du grand remplacement et ceux qui ont peur du grand réchauffement. ■
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