Par Marc VERGIER.
Au moment où s’active la campagne électorale américaine et où s’étale la confusion du camp Démocrate, l’important ici c’est de faire connaître une étude étasunienne originale et mettre en valeur un graphique qui, par son sérieux et son originalité, fait honte à nos commentateurs français et prouve, une fois de plus, qu’une image vaut mille mots.
Dans ces colonnes, sur les ondes, en librairie, on constate un intérêt renouvelé pour les classes sociales. Elles réapparaîtraient ; avaient-elles disparu ? Marx est invoqué de façon, selon moi, erronée. La féroce bourgeoisie et les misérables du 19ème siècle ont, chez nous, laissé la place à un continuum peu propice aux révolutions. Chez les auteurs dont on parle, Muzergues, Todd, etc. je vois plutôt des catégories intelligemment distinguées sur ce continuum, toutes en interactions et en échanges permanents. Et même, plutôt des catégories électorales. On le comprend : il est plus facile de s’appuyer sur des chiffres précis et des séries temporelles solides.
Pour aller vite, je crois cette approche exposée à deux critiques évidentes. Sa quasi-invalidité face à la « matière noire » de l’abstention et le fait que l’expression des votants est largement préformatée.
En politique, comme dans le commerce, on est tenu de prendre ce qui vous est proposé, sous la forme disponible. Le monde politique s’inspire largement des méthodes commerciales sans avoir la souplesse, l’imagination ni l’honnêteté des industriels. Rabâchage, sondages, étiquetage, diabolisation, intimidation, perversions du langage et autre manœuvres (pensons au prétendu « vote utile ») sont bien connus des lecteurs de Je Suis Français. Le résultat c’est l’abstention et l’éclatement des partis, principalement ceux prétendus « de gouvernement » ! L’offre politique s’est, pour ainsi dire, coupée de la demande. On ne s’étonne donc pas qu’un « manager » (cf. Guillaume Bigot) se soit emparé de l’entreprise France.
Par ces propos plus que sommaires, je souhaite attirer l’attention sur une analyse de cette « demande » politique proposée, le 5 mars 2019, par l’éditorialiste étatsunien Damon linker, dans The Week, à partir des travaux très fouillés du Voter Study Group sur leur élection présidentielle de 2016.
https://theweek.com/articles/827000/manifesto-new-american-center
https://www.voterstudygroup.org/publication/political-divisions-in-2016-and-beyond
Comme beaucoup, ici et dans son pays, Damon Linker s’interroge sur le « centre » de l’électorat, considéré comme raisonnable et rassembleur :
« Le problème ne serait peut-être pas tant le rejet du centre par les électeurs et leur préférence pour les extrêmes que l’inadéquation des propositions des politiciens… le centre pourrait bien être ce que l’électeur demande mais un centre qui ne serait pas là où nous nous sommes habitués à le placer.
En effet, voici ce que la plupart d’entre nous comprenaient jusqu’à maintenant comme le centre de la politique américaine (centre-droit, centre-gauche ou centre tout court – proposé par Howard Schultz). Favorable à l’économie de marché, au libre-échange, à l’immigration, à un impôt sur le revenu plutôt réduit ; strict quant à la délinquance et la fraude sociale; tolérant (quelquefois avec des limites) sur l’avortement et autres questions sociétales ; « faucon » en politique étrangère.
Problème : Il n’y aurait que peu d’électeurs pour ce prétendu centre.
Le Voter Study Group a produit en juin 2017 l’une des analyses les plus éclairantes de l’opinion publique lors de l’élection présidentielle de 2016. Un graphique surtout illustre à la perfection le paradoxe du centre vide.
Chaque point représente un suffrage exprimé parmi 8000 ; l’axe vertical indique les préférences relatives de cet électeur sur les questions sociétales et d’identité, conservatisme vers le haut et « libéralisme » vers le bas ; l’axe horizontal, de même, ordonne les préférences relatives (libérales [comprendre gauche] vers la gauche et conservatrices, voire libertariennes, vers la droite).
Le graphique nous éclaire sur plusieurs points. L’électorat démocrate est le plus concentré dans le quart inférieur gauche. Les républicains apparaissent groupés en ce qui concerne les questions sociétales et d’identité mais assez également répartis quant à leurs préférences économiques.
Il y a enfin ce que le graphique nous dit sur le centre idéologique de la politique américaine. On attendrait le centre tel que défini par les experts et les politiciens (tolérance sociétale et modération économique) dans le quart inférieur droit. Or cette partie du graphique est presque vide.
Dans le quart supérieur gauche, on découvre un tout autre centre, densément rempli par des électeurs qui se sentent probablement mal représentés par les deux partis.
Les électeurs s’y révèlent plutôt Républicains [conservateurs] sur les questions sociétales et d’identité mais plutôt Démocrates [progressistes] sur les questions économiques.
Ces électeurs du quart supérieur gauche ne devraient pas être ignorés, au contraire. Ils pourraient bien être ceux à conquérir, l’astre supermassif qui, au 21ème siècle, déforme l’espace-temps politique [traduction très libre] et chamboule les calculs des politiques, stratèges et partis. Des dizaines de millions d’électeurs attendent qu’on prenne en compte leurs angoisses et leurs problèmes. Ils se tourneront vers les Républicains, si ceux-ci abandonnaient leurs a priori ploutocratiques pour former un vrai « parti des travailleurs » ou bien vers les Démocrates, quand ceux-ci se décideront à concilier leur progressisme avec un nationalisme raisonnable. ■
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