Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
M. Le Drian, ministre des Affaires étrangères, a accusé le 3 mars M. Erdogan d’avoir « instrumentalisé » les réfugiés présents sur son territoire, oubliant ainsi que cette instrumentalisation remonte en fait à mars 2016 quand Ankara avait monnayé le maintien sur son sol de centaines de milliers de migrants.
Aujourd’hui, M. Erdogan cherche simplement à forcer la main à l’Union européenne pour qu’elle le soutienne dans son agression militaire en Syrie. Plus direct, le Premier ministre grec M. Mitsotakis a déclaré « mort » l’accord de 2016 et ajouté avoir le droit « de protéger [des] frontières souveraines ». Voilà qui est clair et légitime. M. Macron avait bien assuré la Grèce de son soutien et de sa solidarité. Cependant, quel soutien et quelle solidarité peut attendre la Grèce si ce n’est de très importantes forces de sécurité pour rendre étanche la frontière sud-est de l’Europe ? On fera peut-être un geste mais qui restera certainement très insuffisant face à la menace turco-immigrationniste : nous souhaitons nous tromper.
Les hasards du calendrier font que l’ennemi turc peut aussi compter sur l’organisation atlantiste dite Otan. En effet, dans le contexte actuel, il est difficile de ne pas interpréter l’exercice militaire, certes prévu de longue date et baptisé « Defender Europe 20 » (trente-sept mille soldats de dix-huit pays), programmé par l’Otan ce printemps et essentiellement dans l’ex-Europe de l’Est, comme un nouvel acte d’hostilité envers la Russie mais aussi de solidarité avec une Turquie alliée. On sait le traumatisme qu’a pu constituer l’Union soviétique pour les anciens pays de l’Est mais l’affichage d’une hostilité de principe contre la Russie de M. Poutine est fortement discutable.
Bien plus dangereuse pour nous que la feue Union soviétique reste la menace démographique brandie par la Turquie. Une Turquie dont les troupes se mêlent aux milices islamistes d’Idlib, véritables brigades internationales de l’islamo-terrorisme (quelques dizaines de prétendus « Français » y côtoient ainsi des milliers de Ouighours, venus donc de Chine), dont une bonne partie pourrait se fondre dans le flot migratoire ininterrompu qui nous menace.
Reste fort heureusement que, dans son rapport de force avec la Turquie, la Russie continue de maîtriser la situation, comme le montrent les conditions de la trêve d’Idlib. M. Erdogan a pu sauver les apparences en quittant Moscou avec un accord de cessez-le-feu.
Il aura pourtant dû se plier aux exigences russes sur l’extension de la zone de sécurité, sur la sécurisation des voies (auto)routières stratégiques MA et M5 et sur la neutralisation des postes militaires turcs. De plus, deux de ses demandes préalables avaient été rejetées : les discussions se sont tenues à Moscou (et non à Ankara, ce qui aurait conforté le « sultan ») et le principe d’une réunion quadripartite (avec Mme Merkel et M. Macron, maillons faibles sous pression turque) n’a pas été retenu.
Une U.E. frappée de débilité native, bien incapable de peser de quelque façon que ce soit (autrement que par ses euros) sur le conflit en Syrie et inféodée de fait à une Otan qui a objectivement choisi la Turquie contre la Russie. Une Turquie désireuse de créer une longue zone tampon en territoire syrien qui aurait pour elle le double avantage de relocaliser, aux frais de l’U.E., une bonne part des migrants syriens et de repousser la présence kurde. Une Russie qui domine la Turquie mais qui doit aussi aussi éviter tout dépassement d’une ligne rouge appelée Otan. Telles sont les données actuelles d’un jeu dangereux qui pourrait donc durer assez longtemps et dans lequel les Européens, contrairement aux autres, ont peu à gagner et beaucoup à perdre. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
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