Par Jean-Christophe Buisson*
Longtemps tabou, l’éradication de millions d’Ukrainiens par une famine orchestrée par Staline est l’objet d’un film polonais d’une force exceptionnelle.
CHERS LECTEURS À LA MÉMOIRE LONGUE (chers tous, donc), contrairement aux ignares et aux indulgents qui peinent à considérer le communisme comme l’idéologie la plus mortifère de l’histoire, vous savez tout ce dont il a été responsable et coupable. Mais aussi les noms de ses complices. Et le courage de ceux qui le dénonçaient à une époque où il était de bon ton de le célébrer. Ainsi, du journaliste gallois au nom de demi de mêlée de rugby (Gareth Jones). Témoin direct et quasi unique de l’effroyable famine organisée par le Kremlin en Ukraine au début des années 1930, il s’en fit l’écho dans la presse occidentale, suscitant sarcasmes, insultes et menaces de la part de confrères et d’intellectuels compagnonnant avec le stalinisme. Cela lui coûta la vie un peu plus tard, dans la steppe mongole…
Agnieszka Holland est polonaise : autant dire qu’elle sait ce dont le communisme russe est capable — sous Staline comme sous ses prédécesseurs et ses successeurs. En retraçant le voyage de mister Jones en URSS en 1933, elle rajoute une page mémorable au « Livre noir du communisme ». Tout est ici parfaitement écrit, filmé, mis en scène, interprété (mention à l’acteur principal, au nom de moto anglaise : James Norton), avec des changements de rythme, d’ambiance, de temporalité et même de genre qui donnent à L’Ombre de Staline (en salles le 18 mars) tour à tour des allures de comédie, de film d’aventures, de polar, de documentaire, de film d’horreur (les scènes d’anthropophagie sont saisissantes), de conte politique.
On suit avec intérêt puis passion puis angoisse ce Mr. Jones, mi-diplomate, mi-journaliste (et 100% espion pour les Soviétiques), enquêtant sur la mort suspecte d’un ami qui s’intéressait à la situation de l’Ukraine dékoulakisée avant de se retrouver plongé dans l’horreur de l’Holodomor. Au point de manquer lui-même mourir de faim. Finalement capturé, il sera l’objet d’un chantage à l’initiative du journaliste américain Walter Duranty, vendu à Moscou au point d’en devenir un zélé propagandiste au sein du New York Times : sa libération et celle d’autres ingénieurs anglais (« innocents », eux) contre son silence. Autant dire un dilemme XXL..
De même que Orwell s’inspira des récits de Jones pour écrire sa fable allégorique anticommuniste La Ferme des animaux, la réalisatrice s’inspire de cette « confrontation » entre les deux hommes pour bâtir la trame narrative de son film. Ce n’est pas la moindre de ses qualités, et Dieu sait s’il en regorge. ■
Post-apostrophum : difficile de ne pas penser devant ce film à Tintin au pays des soviets, publié en… 1930.
* Source : Figaro magazine, dernière livraison.
Jean Christophe Buisson est écrivain et directeur adjoint du Figaro Magazine. Il présente l’émission hebdomadaire Historiquement show4 et l’émission bimestrielle L’Histoire immédiate où il reçoit pendant plus d’une heure une grande figure intellectuelle française (Régis Debray, Pierre Manent, Jean-Pierre Le Goff, Marcel Gauchet, etc.). Il est également chroniqueur dans l’émission AcTualiTy sur France 2. Son dernier livre, 1917, l’année qui a changé le monde, est paru aux éditions Perrin.
Il faut lire le magnifique et terrible ouvrage de l’historienne américaine Anne Appelbaum » La famine rouge » pour comprendre que le communisme fut aussi génocidaire que le nazisme, quoique d’une autre façon. La différence entre les deux c’est que s’il y a encore aujourd’hui des néo-nazis, ils n’ont plus droit à la parole et au chapitre alors que les néocommunistes continuent à répandre leur peste, comme le funeste philosophe Badiou, adulateur de Staline, Mao et Pol Pot.