PAR PIERRE BUILLY.
Vive la France ! de Michel Audiard (1974).
Conte de fées et de gnomes.
Ah ce qu’il peut être aigre et grinçant, le Michel Audiard, et même amer sous sa gouaille perpétuelle ! Amer que la France, la princesse de légende de Charles Péguy, le plus beau royaume qu’on eût vu sous le Ciel, après avoir coupé le cou à son Roi, ait littéralement perdu la tête… Depuis lors elle erre à la recherche de cette tête, d’un père, d’un chef et de fille aînée de l’Église, elle est devenue une fille à soldats… Et voilà qu’il conte cela dans un vif petit film de montage injuste, méchant, sarcastique qui n’a rien de drôle. Mais pas davantage que n’était drôle l’Audiard de Mortelle randonnée ou de On ne meurt que deux fois : de l’acidité considérée comme un des Beaux-Arts. Et même comme un art majeur.
Troquant le bénitier pour le sabre, elle ne tombera dès lors en pâmoison que devant les uniformes, les bottes et les cravaches. Il n’est évidemment pas certain qu’elle ait gagné au change. Parce qu’après la dictature bottée de Napoléon Bonaparte, le trop bref retour à la normale de la Restauration (Un petit bout de Démocratie… nous voulons dire la Monarchie), voilà à nouveau les aventures et les billevesées militaires : Napoléon III, Patrice de Mac Mahon, le général Boulanger, le général Joffre, le général Foch, le général Pétain… et même le vieux radical sectaire Georges Clémenceau déguisé en bon papa à moustaches tombantes alors que, refusant les offres de paix formulées à la fois par Benoît XV et par l’empereur d’Autriche-Hongrie Charles Ier, il apparaît davantage comme Le Tigre (qui) aime la chair fraîche.
Je divague un peu, mais je suis pourtant le fil du montage d’Audiard et de son récit grinçant et écorché qui navigue dans toutes les bouffissures et les naïvetés, les illusions et les aveuglements dont notre beau pays semble se repaître avec un curieux appétit. Pour les avoir ici et là souvent rappelées, je sais qu’il est bien facile d’opposer nos folles insouciances à base de girls du Casino de Paris, de lambeth-walks, de revues animées par Joséphine Baker, de discours de la vieille bique Léon Blum à l’horreur rituelle, sanglante, démoniaque, des cathédrales de lumière qui se dressent de l’autre côté du Rhin à l’appel d’un prophète de malheur. N’empêche que les voir une nouvelle fois mises en exergue avec, en arrière-plan, la voix narquoise et même un peu méchante du cinéaste-dialoguiste les fait regarder avec encore davantage de précision.
L’Histoire avance. Après que Staline, le Géorgien facétieux a dîné avec le Diable en employant la plus longue cuillère possible, que voulez-vous qu’il puisse arriver d’autre que ce qui est arrivé, même si Madame Florida, voyante majuscule de l’époque, a prévu que l’année 1939 serait toute de paix et de prospérité ? C’est boum-boum tralala partout en Europe et même dans le Monde. En 1974, lorsque Michel Audiard donne son film chicanier, personne ne s’en est encore remis vraiment.
Même pas lui qui ne résiste pas à sa propre verve et qui poursuit de son mépris à la fois le Général de Gaulle et Marthe Richard. On ne sait trop pourquoi il ne supporte pas le premier : sans doute une sorte d’antipathie instinctive, accrue par son antimilitarisme fondamental et aussi pour demeurer celui à qui on ne la fait pas. Les arguments contre la seconde, l’instigatrice de la fermeture des bordels sont plus étayés.
Audiard date de la funeste loi du 6 novembre 1946 la précipitation de la décadence de notre pays, contraint, depuis lors, à épuiser son énergie dans des luttes sportives où nous sommes trop souvent évincés par nos concurrents étrangers. On peut penser ce que l’on voudra de ce point de vue.
Plus le film va, plus il devient déplaisant. Ce n’est pas que le talent manque, loin de là, ni le goût des formules assassines ; mais il y a une forme de systématisme dans la démolition qui dévalorise le propos.
Moi qui ai besoin de beaucoup pour m’indigner, je n’ai pas du tout aimé que les images de la cérémonie à la mémoire du Général, à Notre-Dame, le 12 novembre 1970 soient accompagnées de la goualante Le clown est mort chantée par Giani Esposito. Il y a des moments où le mauvais goût devrait fermer sa gueule.
Et si le film se concluait sur d’aussi belles images que celles qui l’entament, Notre-Dame, Chenonceau, Versailles, ce serait beaucoup mieux. ■
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