Par Nicolas Ungemuth
Il s’agit ici de la recension sympathique d’un livre qui est plutôt une fable.
Toute démocratie n’est pas en soi critiquable. Toutes ne se valent pas. Celle qu’un prince amoureux tente d’installer dans son royaume imaginaire façon Hergé, est métaphore de la nôtre. Notre démocratie tient de sa naissance : une révolution sanglante qui s’impose par le totalitarisme et la Terreur. Sous des formes diverses, elle ne s’est jamais débarrassée de cette maudite origine. C’est ainsi qu’on peut lire selon nous cet article antidémocratique. Après tout, même si l’on passe à une tout autre dimension, cette dernière hostilité n’a jamais disqualifié Shakespeare aux yeux du monde. Relire Coriolan.
Le naufrage universel
Le mâle blanc, de Stéphane Denis, Grasset, 138 p. 15 C
Rien ne va plus en Morénie, petit État européen prospère mais hors de l’Union : le prince Albéric, qui considère que « les meilleurs régimes sont ceux qui gouvernent peu », ne fait pas grand-chose. Sa mère souhaite qu’il se marie enfin, mais le jeune homme aime déjà la fille du boulanger.
Or, en Morénie, il est impossible pour un prince d’épouser une fille du pays. Au même moment, un « publiciste » (c’est ainsi qu’on nomme les journalistes en Morénie) diffuse de curieuses idées : il est « pour l’interdiction des voitures, la généralisation des bicyclettes, le véganisme, l’éolien, la repentance et l’universel ».
Afin d’échapper à une union qu’il ne souhaite pas et pour mieux calmer les esprits, Albéric a une idée : introduire le suffrage universel dans sa petite monarchie. Instantanément, tout part en vrille : certains Moréniens deviennent progressistes, d’autres conservateurs, un parti mahométan est créé, suivi par d’autres, des boucheries sont attaquées, « la population reste chez, elle suivre les débats de la chaîne d’infos en continu », il y a « dix pétitions par jour» et « la fréquentation des églises, le dimanche s’est réduite de moitié ».
Rapidement, tout le monde convient qu’en fin de compte, la démocratie n’est pas une solution viable… Lorsque Stéphane Denis décide de s’amuser, ça ramone sec.
Sa fable – délicieuse d’autant qu’elle est écrite comme un récit très sérieux avec des notes en bas de page hilarantes – évoquera aux attentifs un pays qu’ils connaissent bien. Il y a du Voltaire, du Molière ou du Rabelais dans cette fantaisie : c’est l’esprit français qui resurgit. ■
Source : Figaro magazine, dernière livraison.