Par Gérard Leclerc.
Nous sommes heureux de reprendre cet article revigorant, léger d’apparence, humoristiquement paradoxal, qui tourne nos regards vers l’avenir et vers un avenir meilleur au plein sens du mot. Article, qui plus est, tout à fait dans notre domaine, celui de la Cité sur lequel nous tentons nous aussi de réfléchir et, si possible, d’agir.
En dépit de la gravité de l’heure, si nous renoncions un instant à être sérieux !
Entendons-nous… il y a différentes façons de décliner ce terme de sérieux et l’on pourrait recourir à la philosophie pour mieux cerner le concept. Contentons-nous d’évoquer, pour le rejeter, cet esprit de sérieux qui enferme dans un morne immobilisme, par refus de se remettre en question et de remettre en question le monde tel qu’il va. Mais justement, le monde tel qu’il va vient de s’arrêter brusquement. La fébrilité a quitté nos rues en même temps que toute agitation, comme pour défier ce qui est le moteur de notre civilisation technique. Pour qualifier la supériorité des États-unis, c’est à cette image de la fébrilité des rues que l’on a eu parfois recours. L’Américain ce n’est pas l’homme tranquille, c’est l’homme pressé. Mais voilà que l’homme pressé est contraint de s’arrêter, de s’immobiliser. Ce n’est pas drôle, ça ne donne pas envie de rire. Pas seulement parce qu’il y a cette affreuse pandémie mais parce que toute l’activité économique s’est arrêtée.
Justement, et si nous prenions le parti des gens pas sérieux, c’est-à-dire des personnes qui trouvent quelque avantage à cet arrêt de l’activité, parce qu’il donne l’occasion de réfléchir à frais nouveau. Cela rappelle des souvenirs, pour qui a connu les folies qui ont entouré Mai 68. Gébé, un dessinateur satirique publiait L’an 01, qui va devenir un film au succès étonnant, fondé sur la pure imagination utopique. Et si on arrêtait tout, et si l’on recommençait à zéro. « On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste. » Cela ne va pas durer longtemps. L’esprit de sérieux ne tardera pas à reprendre le dessus et les militants utopistes des années soixante ne tarderont pas à rejoindre l’appareil de production dont ils seront les agents très efficaces.
Mais aujourd’hui que l’utopie de Gébé se trouve momentanément réalisée, que l’on a tout arrêté, ne pourrait-on pas réfléchir à la possibilité d’un redémarrage qui tiendrait compte de ce qui ne marchait pas dans notre système avec la ferme résolution d’y porter remède. Quelqu’un d’aussi sensé qu’Hubert Védrine, notre ancien ministre des Affaires étrangères, rentre tout à fait dans ce pari : « Il faut procéder à une évaluation implacable de tout ce qui doit être corrigé ou abandonné au niveau international, européen, national, scientifique, administratif, collectif et personnel » Le Figaro, 23 mars). Concrètement, il faudra écologiser complètement notre système de production et cela nous mènera à une mutation totale en dix ou quinze ans. Ne pas être sérieux aujourd’hui, ne serait-ce pas la seule façon d’être sérieux ? ■
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 24 mars 2020.
Gérard Leclerc est journaliste et éditorialiste à France Catholique et sur les ondes de Radio Notre-Dame. Il a récemment publié Sous les pavés, l’Esprit (Salvator, 2018).
Publié le 24 actualisé le 25 mars 2020
juste bravo
J’ai au moins appris une chose, gràce au COVID 19, c’est qu’on peut endiguer la pandémie en pérorant sur les plateaux de télévision. Un prof de médecine est apparu sur TF1 dimanche, et sur la 5 , deux jours après, pour nous dire: restés enfermés, car on ne sait rien et critiquer la solution du Pr RAOULT, qui possède de bons antécédents et est reconnu à l’étranger, salué par Donald TRUMP, entr’autres
Le mot sérieux comporte des sens multiples selon le contexte dans lequel on l’emploie ou
la pensée de celui qui l’emploie ou le but qu’elle cherche à atteindre. Les idées, les idéologies, les points de vue les plus déjantés, provocants, iconoclastes sont généralement présentées par leurs promoteurs animés par leur convictions comme parés de sérieux, espérant ainsi convaincre ou convertir le plus grand nombre pour qui l’emploi du mot sérieux signifie clairement que l’on est sérieux et que tout le monde se doit de l’être.
Tout la difficulté d’analyser un discours prétendument sérieux réside dans l’absence de sens du mot sérieux en soi.
Le sérieux peut aussi résider dans l’attitude perçue de la personne qui se montre sérieuse ou prétend l’être dans l’expression de son propos ou ses écrits. Pour cela il suffit d’avoir l’air sérieux.
Il ne viendrait à l’esprit de quiconque de croire au sérieux d’une personne qui prétendrait l’être ou que son discours l’est mais qui s’exprimerait en public avec une décontraction inapropriée, force éclats de rire, en plaisantant ou en se moquant. Vrai?
Et pourtant, nombre d’humoristes, de satiristes, de grands auteurs, de média expriment dans leurs propos ou écrits humoristiques des choses infiniment sérieuses. Dans les temps anciens, les fous du roi étaient acceptés par tous y compris les grands (selon leur niveau de patience, il est vrai) car ils exprimaient à travers leur humour et moqueries des choses sérieuses que d’autres pouvaient penser mais se retenaient d’exprimer en public!
Beaucoup dépend des circonstances. En cette période de grave crise du Corona virus avec les morts qu’il provoque chaque jour et que l’injonction de confinement général de la population se fait de plus en plus exigeante, le sérieux est évidemment de rigueur et personne ne se risque à se moquer, faire de l’humour ou de l’ironie sur ces sujets angoissants … pour le moment en tout cas.
Pour le moment, il convient d’être sérieux et de suivre les injonctions gouvernementales quoi qu’on puisse en penser dans les détails.