Cette chronique de Mathieu Bock-Côté – de celles que nous reprenons souvent pour leur pertinence – est parue dans le Journal de Montréal du 28 mars. Mathieu Bock-Côté y évoque – vues du Québec – ces amitiés sociales et humaines dont l’exercice est entravé aujourd’hui par le confinement, Ce retour vers cette sorte de réalités, profondes plus qu’il n’y paraît, nous conduit loin et bien au-dessus des palabres lancinantes et souvent ridicules de la gent médiatique, dont nous sommes saturés. À lire ! Tout simplement.
Je m’en souviens encore comme si c’était hier.
Quand je rencontrais un ami, je lui serrais la main. Aujourd’hui, je ne vois plus mes amis, et si j’en rencontre un en marchant dans mon quartier, la politesse élémentaire en temps pandémique veut qu’on se tienne à bonne distance l’un de l’autre.
D’ailleurs, dans nos rues où les marcheurs sont plus nombreux que jamais, chacun pratique l’art de l’évitement. Quiconque s’y dérobe passe pour un imprudent ou un criminel.
Politesse
Telles sont les règles du confinement. En quelques jours, les codes définissant le savoir-vivre sont renversés.
C’est vrai de tous les domaines de l’existence.
Contre l’épidémie, la meilleure manière de se mobiliser ensemble consiste à rester chacun chez soi. La méfiance déclarée envers son voisin devient une manifestation d’esprit civique.
Je ne peux néanmoins m’empêcher de penser à la suite.
Dans quelques semaines, dans quelques mois, la vie reprendra ses droits.
Nous ne soupions plus avec nos amis. De nouveau, nous les retrouverons au restaurant. Mieux : ils viendront à la maison.
Viendra alors le moment de poser ce geste incertain qui ne nous sera plus familier : nous tendrons la main, comme au temps jadis, pour saluer notre ami, et marquer notre joie de le revoir.
On devine que la poignée sera ferme. Certains risqueront même l’accolade, et les Français du Plateau Mont-Royal se feront la bise.
Mais quand ? Il nous faudra bien un signal, annonçant le retour aux comportements chaleureux.
Amitié
J’ai en tête mon scénario rêvé.
À la fin de leur conférence de presse quotidienne, François Legault et Horacio Arruda pourraient, devant les caméras, de manière presque solennelle, se donner une vigoureuse poignée de main, sous le signe d’une amitié née dans la crise.
Nous comprendrions alors que le pire est derrière nous.
La simple idée de cette scène suffit pour susciter mon enthousiasme ! ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques(éd. VLB, 2013), deFin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).