Par Francis Venciton
Cet article fait partie d’une suite de neuf. Les 9 articles paraissent en feuilleton, à dater du mercredi 22 septembre et les jours suivants. Fil conducteur : l’écologie. Les auteurs sont de jeunes cadres du mouvement royaliste, engagés à l’Action française. Vous apprécierez leur réflexion. Au besoin, vous en débattrez. Ces articles seront constitués en dossier, toujours consultable ici.
AU MOYEN AGE, la profession de boucher était réputée vile parce qu’elle versait du sang. C’est pour cela qu’elle était interdite aux clercs.
Aujourd’hui, les clercs modernes considèrent non seulement que les bouchers sont vils mais qu’en plus il est légitime de s’en prendre violemment à eux ou à leurs boutiques. Gribouiller des slogans sur les vitres des boucheries ou plus simplement les briser à coups de marteau est donc devenu un sport des antispécistes. La récurrence de ces actions du camp du Bien, qui n’a pas beaucoup ému les pouvoirs publics, a même poussé la profession à demander une protection policière à plusieurs reprises ces deux dernières années.
Les militants radicaux qui s’en prennent aux bouchers sont des partisans de l’antispécisme, une doctrine philosophique qui vise à lutter contre la domination de l’homme sur l’animal. Le terme spécisme apparaît en 1970 dans une brochure publiée par Richard D. Ryder, à Oxford, contre les expérimentations sur les animaux. Le « spécisme » qu’il dénonce est cette idée qu’il y a une rupture dans le continuum de la nature entre les animaux et l’homme, rupture que Darwin aurait remise en cause. Dès lors, il s’agit d’accorder des droits aux animaux et de dénoncer l’égoïsme moral de l’homme qui lui fait préférer son prochain aux autres animaux. Ryder va plus loin en énonçant l’idée que le spécisme est structuré exactement de la même façon que le racisme : par égoïsme, on accepte de faire souffrir des êtres innocents.
Utilitarisme et déconstruction
Cette idée rencontre rapidement l’intérêt du philosophe Peter Singer qui, en 1975, va sortir la bible de l’antispécisme, La Libération animale, qui mêle la thématique du spécisme de Ryder avec la philosophie utilitariste, selon laquelle il faut maximiser le plaisir et minimiser la souffrance pour tous. Les animaux étant capables de plaisir et de souffrance, ne pas les prendre en compte est un déni d’« humanité » semblable au racisme ou au sexisme. Il s’agit donc de libérer les animaux tout comme on a « libéré » les femmes par la lutte. C’est pourquoi, bien que s’inscrivant dans le courant du droit des animaux, Peter Singer n’est pas un légaliste et trouve moralement acceptable les actions chocs d’un groupe comme L214.
En France, la bonne parole de l’antispécisme est portée par les Cahiers antispécistes qui, dès leur création en 1991, ont eu la double ambition de créer un mouvement antispéciste et de mener une réflexion plus radicale que celle des Anglo-Saxons. Cette spécificité française se ressent dans les thèmes abordés : si l’antispécisme classique est focalisé sur les questions de souffrance animale ou d’extension des droits aux animaux, les Cahiers antispécistes mènent une réflexion de fond sur les conséquences de leur doctrine, afin de redéfinir le sacré ou la culture. L’un reste foncièrement utilitariste, l’autre s’inscrit dans le sillage des penseurs de la déconstruction.
Cette position antispéciste menant naturellement au véganisme, elle finit aisément par désigner la boucherie comme un symbole à détruire : le plus grand génocide de l’histoire n’est pas celui que le IIIe Reich a effectué mais bien plutôt celui de l’homme sur l’animal, qui commence par la consommation de ce dernier, appelée carnisme. La boucherie, l’abattoir ou l’élevage deviennent le lieu de la mémoire douloureuse et honteuse du zoocide. C’est-à-dire du génocide zoonimal, ce dernier mot signifiant toutes les espèces animales excepté l’homo sapiens. C’est clair, non ?
Le démon du Bien
Cela pourrait prêter à rire ou indigner si tout ce fatras théorique n’avait pas trouvé un public avide de l’imposer aux autres pour le plus grand triomphe du Bien et de la Liberté.
Discuter d’antispécisme n’est guère original aujourd’hui où nous ne manquons pas de demi-célébrités pour emboucher la trompette de la croisade végétarienne et de la défense des animaux, telles qu’Aymeric Caron. Il est probable que la force des idées antispécistes tienne moins à la solidité de leurs doctrines qu’à ce qu’elle révèle de notre société. Les angles d’attaque contre l’antispécisme sont en effet nombreux et forts : cette anthropologie a une approche réductrice de la vie ; quant à maximiser le plaisir ou à minimiser la souffrance, quel sens cela a-t-il ? Désigner l’homme comme la seule créature sacrifiant sa puissance, n’est-ce pas réintroduire une forme plus insidieuse de spécisme ? Car peu chaut au lion de limiter sa puissance. Non, ce qui semble donner de la force à l’antispécisme, c’est le démon du Bien, caractéristique de notre société, et qui explique ce besoin de confondre toutes les luttes pourvu qu’elles démontrent que ses militants sont du bon côté.
Par ailleurs, l’antispécisme, comme toute une frange des radicalités morales, se révèle être un idiot utile du capitalisme. Les militants antispécistes s’en prennent à la boucherie, y compris bio, plutôt qu’à l’industrie agroalimentaire, pourtant grande génératrice de souffrance animale et ayant un levier plus important sur les consommations des sociétés. Ainsi, ils se féliciteront du développement de la viande de synthèse. Car il y a ce paradoxe, chez les antispécistes, que la défense des animaux ne passe jamais par la défense de la nature. Celle-ci, au contraire, est souvent rejetée comme une construction sociale. Les questions de production n’existent pas chez eux, seule importe une position morale, qui se félicite du kebab végétarien sans s’interroger sur ses conséquences économiques – les entreprises mises sur la paille – ou sanitaires – les bienfaits de cet aliment. Le véganisme s’accompagne ainsi d’un déni du réel, aux points de vue anthropologique, médical, économique et même politique. Tant pis si on doit rendre les chats végans contre eux-mêmes.
Si on peut comprendre le désir des végans de faire le bien, on peut s’inquiéter de leur manière de s’isoler dans une bulle imaginaire tout en jouant le jeu de la grande confusion propre au libéralisme moderne : confusion entre l’homme et l’animal, entre les sexes, entre l’artisanal et l’industriel, entre la qualité et la quantité, entre l’adulte et l’enfant… (Série à suivre) ■
À lire dans cette série écologie …
Écologie : feu la gauche
Écologie : Pouvoirs et écologies
Article précédemment paru dans Présent [18 février 2020]
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Publié le 9 avril 2020 – Actualisé le 24 septembre 2021
Aymeric Caron, viré de la télé pour agressivité envers ses invités et malhonnêteté intellectuelle, était à la recherche d’un nouveau fonds de commerce qu’il serait le premier à exploiter, il l’a trouvé mais y croit-il?
L’homme est malin mais ce n’est qu’un fesse-mathieu
Comme toujours les abus et exagérations en entraînent d’autres. Quand on commencera à analyser sainement un problème avec ses « pour » et ses « contre » et qu’on prendra des mesures équilibrées on aura fait un pas dans la sagesse et probablement la paix à laquelle nous aspirons tous.
« Dénoncer l’égoïsme moral de l’homme qui lui fait préférer son prochain aux autres animaux ?
Henry Mance, « éditeur » (chef d’une rubrique) au Financial Times, écrivant son livre récent sur le sujet , découvrit avec surprise que beaucoup d’Anglais préfèraient leur chien ou leur chat à leur prochain !
Etant antispéciste, votre article me laisse dubitatif. D’un côté, vous semblez bien maîtriser votre sujet, car vous mettez en lumière les fondements utilitaristes d’une partie de l’antispécisme contemporain. D’un autre côté, certains passages s’apparentent à de l’imposture intellectuelle.
· D’une part, l’idée d’une continuité entre le racisme (je parle là du racisme véritable, pas forcément de celui dont parlent les mouvements indigénistes actuels) et le spécisme vous semble ridicule. Pourtant, de nombreux articles montrent qu’il y a là des similarités fondamentales : François Jaquet, Speciesism and tribalism: embarrassing origins, 2021 (https://link.springer.com/epdf/10.1007/s11098-021-01700-6?sharing_token=So11RTb90cBywMr50eENsfe4RwlQNchNByi7wbcMAY5RdizR8kKRvjvykdzAV5r_a1qA4ADi9TIPriL4FzBbc1c8hUSr2X0lT1s6w6o4_SDiz31ubWMUxRS2wYlGaqptqqbanDFVCUPurkoMhH9nMWCPYHG1QEaM_PZT_CJ8gyI%3D&fbclid=IwAR1BBmx-_gk3kTb8dd-fbFfctc7c5ICgUwTJZQXqIIC_Rgj4K9tOOwm-Ldc) ; Caviola et al., The moral standing of animals: towards a psychology of speciesism (https://ora.ox.ac.uk/objects/uuid:2feadf1a-8d3f-4030-946e-a524495b385a/download_file?safe_filename=Caviola%252C%2BEverett%2Band%2BFaber%2B%25282018%2529%2BSpeciesism%2BJPSP%2BPre-Print.pdf&file_format=application%2Fpdf&type_of_work=Journal+article) ; Abraham Olivier, Racism, Speciesism and Suffering, 2017 (https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-66568-9_7)…
· L’expression « démon du Bien » semble dire que vous êtes un nihiliste moral, et qu’il vous insupporte qu’on vienne rappeler qu’il y a des choses qui se font, et d’autres qui ne se font pas sur les animaux.
· « Car il y a ce paradoxe, chez les antispécistes, que la défense des animaux ne passe jamais par la défense de la nature. » : je suis bien d’accord que les animaux sauvages tués par l’agriculture, la pollution, le réchauffement climatique, sont très souvent occultés. Cependant, il n’y a rien de paradoxal à ce qu’ils ne défendent directement l’idée de « nature », puisque beaucoup de torts infligés aux animaux sont justifiés par la même idée : il suffit d’entendre dire que la chasse est naturelle ou que manger des animaux fait partie de notre nature. Ce qui est intéressant, c’est justement que l’antispécisme se soit axé sur les individus, pas sur ce qui est naturel ou pas. Par exemple, dans des zoos avec des antilopes, il semblerait tout à fait absurde de simuler des attaques de prédateur et de stresser les antilopes au prétexte que cela « éveillerait leur comportement naturel de fuite ».
· « Le véganisme s’accompagne ainsi d’un déni du réel, aux points de vue anthropologique, médical, économique et même politique. Tant pis si on doit rendre les chats végans contre eux-mêmes. » : David Olivier, un antispéciste français, a nourri ses chats avec de la nourriture végétale, ils n’ont souffert aucun problème de santé (http://david.olivier.name/fr/sur-l-alimentation-vegetarienne-des-chats-et-des-chiens). Où est le refus du réel ? Au contraire, ceux qui donnent une alimentation carnée à leur animal de compagnie refusent de savoir qu’il a fallu tuer des animaux pour nourrir le leur (même si la viande utilisée est en partie « impropre à la consommation humaine »).
De même, quand mon chat attrape une souris, je cours sauver celle-ci. Où est le refus du réel ? Le chat est frustré quelques minutes, mais la souris est épargnée d’un supplice particulièrement violent, et elle reste en vie. Ni le chat, ni la souris n’en a quelque chose à faire que ce premier serait « naturellement un carnivore ».
· Enfin, votre conclusion, c’est que notre société ne sait plus distinguer l’homme de l’animal. Point. Mais vous n’allez pas plus loin, et vous n’irez pas plus loin sur votre démonstration d’un « propre de l’homme » : car cette idée tient moins à sa solidité qu’à son attrait, ou à son omniprésence dans notre culture (il suffit de voir le nombre de fois où l’expression « propre de l’homme » apparaît dans les manuels de philosophie… jamais comme conclusion rigoureuse, mais comme préjugé). Le philosophe Penseur Sauvage a longuement réfuté ce « propre de l’homme » et cette différente de nature homme/animal dans ses vidéos (https://www.youtube.com/watch?v=SPWZfAhsAIY), pour laisser place à une hypothèse plus plausible, celle de la « civilisation » (https://www.youtube.com/watch?v=KmB1eUutm60) .