Par Luc Compain.
Cet article fait partie d’une suite de huit chroniques à paraître dans JSF au rythme de deux par semaine. Fil conducteur : l’écologie. Les auteurs sont de jeunes cadres du mouvement royaliste, engagés à l’Action française. Vous apprécierez leur réflexion. Au besoin, vous en débattrez. Ces articles seront constitués en dossier, toujours consultable ici.
Ils seraient 0,8 %, ces Français à avoir subi une vasectomie, qui consiste en une stérilisation définitive. Et cinq fois plus de femmes à avoir opté pour la ligature des trompes. Certains d’entre eux considèrent que chaque nouvelle naissance est un poison supplémentaire pour la planète, quand d’autres se refusent à infliger le monde qui vient à leur éventuelle progéniture.
Le malthusianisme retrouve un nouveau souffle, et l’on voit apparaître des partisans de l’extinction complète de l’humanité. Bien que le phénomène soit encore marginal, il témoigne des voies extrêmes qui peuvent être empruntées en réaction au choc provoqué par l’urgence écologique.
Cela doit d’autant plus nous questionner que la question écologique est aujourd’hui au centre du débat public et fait recette électoralement. Aussi, quel sens donner à la préoccupation grandissante de nos contemporains pour l’écologie et quelle est la nature de cette dernière ? Si elle n’implique pas toujours une mutilation, cette adhésion repose le plus souvent sur une rupture avec la société thermo-industrielle, dont l’économie repose sur l’exploitation des énergies fossiles. Ceux qui estiment qu’elle est condamnée à s’effondrer se font appeler collapsologues. Certains observateurs soulignent les similitudes entre ce catastrophisme et les eschatologies millénaristes : le pire est à venir, l’apocalypse imminente, et les terreurs provoquées par l’obsession de la fin du monde bien palpables – on qualifie ainsi d’éco-anxiété la détresse liée au réchauffement climatique. De là, ils en concluent que l’écologie prend la forme d’une nouvelle religion. Pas de celles qui nous donneraient de voir un jour des martyres se laissant engloutir sous la montée des eaux ou se consumer dans les incendies d’Amazonie pour témoigner de leur foi dans le réchauffement climatique et la nécessité d’une alternative. Plutôt, pour reprendre un concept forgé par Raymond Aron, une religion séculière, comme explication globale du monde, détenant les clés de l’histoire et du salut de l’humanité.
L’écologie devenue religion
Plusieurs points plaident en ce sens. Le politologue Jérôme Fourquet, selon lequel la matrice écologique se substitue à la vieille matrice catholique, souligne ainsi la récupération du vocabulaire religieux, des « sanctuaires » de biodiversité aux agriculteurs entamant une « conversion » au bio. Greta Thunberg rappelle la figure du prophète ou de Cassandre. Certains croient avoir trouvé le moyen de sauver la planète ou la vie sur Terre – quand bien même l’enjeu n’est pas de sauver une planète qui survivrait à la disparition de l’humanité, ce dont nous sommes parfaitement incapables et qui révèle l’hybris de nos soi-disant sauveteurs, mais de réduire l’impact environnemental des hommes pour minimiser le changement climatique et préserver la qualité de notre relation à la nature. L’écologie joue encore le rôle d’une religion en offrant une vision complète du monde, un logiciel qui structure toute la vie, et une orthopraxie qui assure la conformité entre la foi et le comportement quotidien.
C’est particulièrement remarquable dans le domaine de l’alimentation, où les prescriptions sont abondantes, des végans à Juliette Binoche recommandant de s’abstenir de viande le lundi. Enfin, nombreux sont ceux qui trouvent dans la nature un substitut au christianisme, se confectionnant un religieux à la carte, tout à la fois hyper-moderne et archaïque, mélange de spiritualités orientales ou de peuples premiers supposés écolos avant l’heure, et de développement personnel et de conseils bien-être.
Certains intellectuels, de Drieu Godefridi (Photo) à Pascal Bruckner, s’inquiètent de ce que, de religion séculière, l’écologie aboutisse à un nouveau totalitarisme. Après un siècle rouge et brun, nous risquerions un siècle vert tout aussi redoutable, pratiquant l’extension massive du domaine des interdits, la violence et la rééducation des opposants – l’apocalypse annoncée et à éviter justifiant de faire le bien des autres malgré eux. Comme si l’interdiction du diesel, des OGM, des vols régionaux ou du chauffage en terrasse constituaient autant de prémices des camps. Cette crainte peut s’expliquer par le fait que les retraités du communisme sont nombreux à s’être reconvertis dans le vert. Et il est vrai que la collapsologie est envisagée par certains comme un faux-nez de la révolution, l’effondrement de la civilisation capitaliste devant permettre l’émergence d’une nouvelle société, plus juste. L’effondrement est ici synonyme de table rase du passé, et une manière de faire la révolution sans la faire, la nature faisant de la politique à notre place.
Un « catastrophisme éclairé »
En raison du fatalisme de l’effondrement qu’ils annoncent, les collapsologues font souvent le choix de la dépolitisation. Leurs prédictions – parfois datées précisément – sur la fin du monde, la disparition des États, des villes, et concernant l’explosion de guerres, de la famine et de maladies causant la mort de près de la moitié de l’humanité, révèlent une certaine fascination du pire, tout comme il existe un engouement autour des séries survivalistes à base de zombies. Alors que la tâche du politique est précisément de faire durer la cité malgré les menaces qui viendraient à s’abattre sur elle.
Le chrétien Jean-Pierre Dupuy, défenseur d’un « catastrophisme éclairé », n’est pas non plus tendre avec ceux qui considèrent que l’effondrement va se produire quoi que nous fassions. Si l’effondrement des sociétés n’a rien d’une certitude, il semble néanmoins que nous vivions la fin de la période de la plus grande abondance matérielle que l’humanité ait jamais connu. Cela ne va pas sans s’accompagner d’un changement de paradigme, des mentalités. Ce n’est pas la civilisation qui est au bord de l’effondrement, mais un certain modèle de civilisation. L’ère faustienne, caractérisée par la figure de l’homme maître et possesseur de la nature selon Descartes et l’idéal d’émancipation des Lumières, laisse place à une nouvelle civilisation. A charge pour nous de dépouiller l’écologie des oripeaux religieux dont on voudrait l’affubler et de l’appréhender politiquement. (Série à suivre) ■
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Écologie : Bête comme un homme antispéciste
Article précédemment paru dans Présent [25 février 2020]
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