Par Luc Compain.
Cet article fait partie d’une suite de neuf. Les 9 articles paraissent en feuilleton, à dater du mercredi 22 septembre et les jours suivants. Fil conducteur : l’écologie. Les auteurs sont de jeunes cadres du mouvement royaliste, engagés à l’Action française. Vous apprécierez leur réflexion. Au besoin, vous en débattrez. Ces articles seront constitués en dossier, toujours consultable ici.
La dématérialisation, dans l’administration et les entreprises, est devenue un impératif censé rendre le monde plus propre.
Ce nom, qui évoque l’éthéré, est pourtant trompeur, car le monde virtuel est en réalité dépendant des ressources du monde matériel, de ses millions d’ordinateurs, de ses milliers de data centers et des kilomètres de réseaux nécessaires à l’acheminement et au traitement des données. En fin de compte, la part du numérique dans la consommation mondiale d’électricité s’élève à 10 %, et ses émissions en gaz à effet de serre sont équivalentes à celles de 179 millions de voitures.
Toujours plus gourmand et plus polluant, à l’image du conquérant Netflix, l’immatériel ne tient pas ses promesses.
Cela n’entame pas l’optimisme de certains, pour qui l’avenir en vert a le visage des géants du numérique et prend la forme de trottinettes électriques ou d’une route solaire en Normandie. N’ayant pas pris la mesure du problème environnemental, ils le réduisent à ce qui est visible, et limitent en conséquence leur action au ramassage des déchets sur les plages ou à la végétalisation des façades d’immeubles. Cette sous-évaluation se comprend par le désir de ne pas être trop bousculé dans son quotidien et de n’avoir pas à questionner trop profondément ses habitudes. Ils souhaitent une solution dans la continuité de ce qui a été fait jusqu’à présent. C’est justement parce qu’elle implique une rupture avec le modèle actuel que la décroissance est par eux rejetée.
Le confort n’est pas gratuit
Le modèle thermo-industriel, il faut bien l’admettre contre une vision manichéenne de l’écologie, a permis un recul de la pauvreté et des maladies, et une augmentation de l’espérance de vie et du confort matériel sans équivalents dans l’histoire de l’humanité. Mais ce confort n’est pas gratuit, il a pour prix l’épuisement des ressources et le réchauffement climatique. Le progrès technique est ambivalent, ses effets sont à la fois positifs et négatifs. A l’heure des choix, entre deux biens qui ont leurs contreparties, les technophiles promettent de surmonter ces contradictions et de réaliser la transition écologique tout en poursuivant la croissance économique. C’est toute l’ambition du développement durable.
Ce discours est porté par les globalistes, désireux de s’emparer de l’écologie pour recycler leur idéologie : à l’heure où le mythe de la mondialisation heureuse est tenu en échec, ils offrent de concilier sauvegarde de la planète, abolition des frontières et unification du monde. L’Union européenne se montre ainsi particulièrement engagée sur la question écologique. Mais cela ne doit pas faire illusion : arguant qu’un enjeu aussi global que la transition écologique est par définition mieux traité à l’échelon continental qu’au niveau des États-nations, elle est avant tout soucieuse de paraître indispensable pour retrouver un nouveau souffle ou, tout au moins, retarder son effondrement. ²
La tromperie est particulièrement manifeste avec Le pacte vert pour l’Europe bruyamment présenté fin 2019 par la Commission européenne, qui ne fait pas une seule fois mention de cette ressource fossile essentielle à l’économie européenne qu’est le pétrole. Le Monde parle même d’une commissaire à l’énergie « qui aimait trop le pétrole ».
L’équation de Kaya et le paradoxe de Jevons
Pour comprendre l’échec programmé de la promesse d’une croissance verte assurée par la technique, il faut se pencher sur l’équation de Kaya, laquelle nous apprend que les émissions en gaz à effet de serre sont proportionnelles au contenu en gaz carbonique de l’énergie, fois l’intensité énergétique de l’économie, fois la production par personne, fois la population. La réduction des émissions de gaz carbonique repose sur ces quatre leviers. Refuser que la population ou la production diminuent revient à faire porter tout l’effort de la transition écologique sur le contenu en gaz à effet à serre de l’énergie et sur l’intensité énergétique de l’économie, autrement dit sur les ingénieurs. Une augmentation de la population et de la production conduit à fonder de plus grands espoirs dans la technique. ²
Et quand bien même celle-ci serait perfectionnée, c’est sans compter sur le paradoxe de Jevons : quand on augmente l’efficacité avec laquelle une ressource est employée, la consommation totale de cette ressource, au lieu de diminuer, a toutes les chances de croître, par le développement de nouveaux usages. Le progrès technologique, loin de réduire suffisamment les émissions de gaz carbonique, constitue plutôt une fuite en avant.
Si les technophiles font montre d’une hybris certaine en nous assurant que la recherche scientifique sauvera le monde, celle-ci est fragile et ne doit pas cacher que les grandes certitudes ont fait place aux grandes espérances, aux attentes quasi-religieuses. Les éoliennes dont ils font la promotion ne savent pas stocker l’énergie produite ? Ce n’est qu’une question de temps ! Ils refusent l’enfouissement des déchets nucléaires, affirmant qu’une alternative ne saurait tarder ? N’ayant aucune imagination et pas le moindre début de solutions, ils en sont réduits à attendre, dans l’espoir qu’elles apparaissent de manière spontanée et miraculeuse. Car la technophilie, en matière écologique, n’est guère moins qu’une forme de pensée magique : les ingénieurs vont trouver des remèdes pour maintenir notre mode de vie, tout en éliminant la perspective du réchauffement climatique. Il faut que rien ne change pour que tout change. La transgression des lois de la physique et mathématiques conduit encore à penser qu’il est possible de réparer ce qui a été détruit, comme si la planète pouvait être « rebootée » tel un ordinateur défectueux et retrouver un état d’origine mythique quand, du fait de l’inertie du CO2 dans l’air, la dérive climatique des prochaines années est déjà inscrite dans les émissions passées.
L’homme moderne manifestait sa supériorité en construisant des machines. Aujourd’hui, démuni face à un problème d’une ampleur inédite, il s’en remet aux machines pour le sauver. Celles-ci, à défaut d’assurer son salut, causerons à n’en pas douter sa perte. (Série à suivre) ■
À lire dans cette série Écologie …
Écologie : feu la gauche
Écologie : Pouvoirs et écologies
Écologie : Bête comme un homme antispéciste
Écologie : Les angoissés du climat
Article précédemment paru dans Présent [25 février 2020]
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Publié le 16 avril 2020 – Actualisé le 27 septembre 2021
« Cette civilisation mécanique finira par promener autour de la Terre, dans un fauteuil roulant, une humanité gâteuse et baveuse, retombée en enfance et torchée par les robots. »
Georges Bernanos