Par François Marcilhac.
On me le pardonnera aisément, je pense : le verbiage élyséen ne m’inspire aucun commentaire. L’hebdomadaire Marianne [1] nous apprend que l’entourage de Macron avait prévenu : ce serait « un discours churchillien », délivré par « un chef de guerre » persuadé d’exercer « une fonction paternante »… Malicieusement, le journal s’est livré à un exercice fastidieux : retrancher du discours de Jupiter « les banalités dispensables, les égarements théâtraux et les redondances malheureuses », pour le raccourcir de dix minutes. Nous ne pouvons que saluer le courage de l’équipe de Natacha Polony, sans être certain qu’il n’aurait pas été possible de faire mieux encore. Mais l’incontinence verbale du chef de l’Etat, si elle n’étonne plus personne, finit tout de même par lasser. Nous n’avons pas vérifié.
En ces temps incertains, où la seule certitude est que le pays continuera de souffrir de l’épidémie bien encore après que notre personnel médical, tous échelons confondus, aura réussi à la juguler, tournons-nous plutôt vers l’essentiel : le message de Pâques du comte de Paris aux Français nous en fournit l’occasion. A l’origine de cette parole, il n’y a en effet aucune arrière-pensée, en tout cas pas celle d’instrumentaliser l’épidémie pour, à moyen terme, réduire nos libertés, toucher au code du travail ou aux fêtes chrétiennes (un exercice récurrent du MEDEF), ou instaurer une société de la surveillance généralisée — les benêts du tout-numérique servant d’idiots utiles, en la matière, aux cyniques. L’épidémie est en effet le prétexte, pour les dirigeants politiques, les acteurs économiques ou les hommes-liges des médias officiels, de promouvoir un néo-positivisme, un néo-scientisme, d’autant mieux perçu par la population qu’il repose sur la peur, laquelle élève rarement l’âme. Nous ne faisons pas tant allusion au retour inquiétant d’une certaine délation, qu’à ce discours de confiance aveugle dans une parole scientifique, pourtant elle-même en recherche, ce qui est bien normal, face à un nouveau risque sanitaire : or cette parole sert, en dépit d’elle-même, de prétexte à discréditer à l’avance toute critique du pouvoir politique qui, toute honte bue, ose s’en réclamer, alors même qu’il a été en dessous de tout au début des événements.
On comprend que le Prince profite, au contraire, de cette « période grave », « pour essayer de discerner les tendances fortes, notamment quelles sont les structures indispensables au bon gouvernement des personnes et des choses. » Nous renvoyons au texte [2], nous contentant de discerner les éléments qui le structurent : « La crise nous montre d’abord que l’État et ses services, dès lors qu’ils se sont mobilisés, sont rapidement redevenus des fondamentaux dans la prise de décision. » Oui, dès lors qu’ilsse sont mobilisés, ou qu’on les a laissés se mobiliser. De plus, l’échelon communal « s’est lui aussi avéré indispensable », ce qui montre l’inanité des politiques qui, depuis une décennie, visent à brider l’action des maires au profit de structures obèses et lointaines. « Enfin, certaines autorités morales ont aussi servi de relais, souvent auprès de ceux qui se sentent exclus de la société. » Où l’on retrouve le vieux mot de Rabelais, toujours actuel et à rappeler à nos néo-saint-simoniens : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »
Ensuite, le Prince constate, non sans cruauté, que, « de leur coté les institutions supranationales ont manqué le coche. Elles n’ont prouvé ni leur utilité ni leur inutilité, ce qui m’amène à penser que leur rôle et leur nature doivent être redéfinis ». Les exercices d’autosatisfaction de la présidente de la Commission européenne doivent être remisés. Le fait est qu’une autre Europe doit être inventée, reposant sur les Etats.
Enfin, le plus crucial : pour traverser « la grave période de crise économique » qui s’annonce, « nous aurons besoin de toutes nos qualités pour la surmonter. Nos institutions devront être des facilitateurs. Le pourront-elles ? Sans doute. Le voudront-elles ? Je ne sais ! » C’est cette incertitude qui fonde notre légitime angoisse, ce décalage entre cette potentialité et cette volonté de nos institutions, ce signe d’une faille inhérentes à elles, et qui ne révèle rien d’autre que ces arrière-pensées que nous dénoncions au début de notre propos. Alors que la seule arrière-pensée, c’est-à-dire la seule boussole du Prince, est le bien commun de la nation, celui-ci, en revanche, ne motive pas les acteurs de nos institutions, faute pour celles-ci de reposer sur l’histoire et le service rendu, faute de réussir à faire de l’homme élu, issu d’un parti, voire d’une tribu, l’homme de la nation, faute de reposer sur un principe plus solide et plus désintéressé que la compétition permanente, la spéculation personnelle et le conflit d’intérêt.
On comprend alors pourquoi le Prince en appelle à « la force de caractère des Français », pourquoi aussi, lui, qui incarne l’histoire millénaire et toujours vivante du pays, rappelle : « Notre peuple de France en a vu d’autres ! » Quand le nombrilisme jupitérien nous demande, platement, de « sortir des sentiers battus, des idéologies, [de] nous réinventer – et moi le premier », le Prince, lui, loin de se mirer dans sa propre image, regarde l’histoire de France pour nous indiquer la voie du renouveau. Oui, « notre peuple de France en a vu d’autres ! Il s’est toujours remis, en faisant confiance à ceux qui aiment notre pays et qui le servent.
Il faut déjà panser les plaies pour penser à l’après. Le chemin ne sera pas facile. Il sera sans doute plus long que souhaité. Mais nous avancerons comme nous avons toujours su le faire. En nous appuyant sur les forces vives de notre pays. Et surtout en vue du bien commun de notre pays qui est la condition du bien des Français. »
A travers le monde, plus spécialement en Europe, de nombreux peuples ont eu le réconfort, en ces temps difficiles, par les multiples canaux qui sont maintenant à la disposition de tous, d’entendre la voix de leurs Princes, de les voir s’adresser à eux, qu’ils règnent ou soient en attente d’exercer le bien commun. Nul doute que les Français les plus consciemment patriotes aspirent au même réconfort. ■