Par Rémi Hugues.
« L’intellect peut être affecté par la démesure. »
La conception de l’homme héritée de René Descartes présente ce défaut. L’intellect, appelé « conscience » ou « raison », y occupe en effet une place surdimensionnée.
Le cartésianisme a pavé la voie aux physiocrates, avec le baron Paul d’Holbach notamment, ces précurseurs des Lumières qui, de Diderot à Marx, trouvèrent de nombreux adeptes.
Le matérialisme, qui trouve ses sources antiques dans l’œuvre d’Héraclite, est fils du rationalisme. En considérant que la pensée est produite par la matière, il érige une conception du réel d’où est absente toute transcendance.
Émile Zola a sans doute fait siennes ces croyances qui connurent un regain d’intérêt à l’orée de la modernité. En tout cas on les retrouve dans son roman Le docteur Pascal, qui clôt la saga des Rougon-Macquart : « L’homme baignait dans un milieu, la nature, qui insistait perpétuellement par des contacts les terminaisons sensitives des nerfs. De là, la mise en œuvre, non seulement des sens, mais de toutes les surfaces du corps, extérieures et intérieures. Or, c’étaient ces sensations qui, en se répercutant dans le cerveau, dans la moelle, dans les centres nerveux, s’y transformaient en tonicité, en mouvement et en idées. »[1]
Nos pensées y sont vues comme des excroissances matérielles, en rupture avec la Tradition qui explique la présence de l’âme et de l’esprit.
Or, si la pensée est l’effet de la matière, de quoi la matière est-elle l’effet ? De rien, nous prétend le matérialisme athée, qui est une forme du nihilisme, tant dénoncé par Friedrich Nietzsche.
Contentez vous de ce lien de causalité simple, n’allez pas plus loin. Aller plus loin ce serait s’inventer ce que ce dernier appelait les arrière-mondes. À ce sujet la notion d’ « acosmicité » présuppose qu’il y a séparation entre le créateur et sa création.
En fait, les pensées qui traversent celui qui cogite ont certes besoin de la matière qui compose son être physique, laquelle matière toutefois n’aurait jamais pu être sans le Verbe divin. Il est par conséquent aporétique de se représenter la matière comme un incréé, sa nature propre est d’être création, d’être ce qui est créé.
L’Esprit subsume ainsi la matière, car il l’a instituée, il l’a fait naître, comme le soulignait Grégoire de Nysse dans La création de l’homme[2]. Fort de son pouvoir créateur, l’esprit doit cependant rester humble en comprenant bien qu’il n’est ni maître ni possesseur de la matière, uniquement son régisseur. (FIN) ■
[1]Paris, Flammarion, 1965, p. 431.
[2] Grégoire de Nysse (IVème siècle, Cappadoce) explique dans ce traité rédigé vers 379 que la matière naquit de lʼinterférence des puissances spirituelles. Il écrit que « la nature spirituelle donne l’existence à des forces spirituelles et la rencontre de celles-ci donne naissance à la matière. », Paris, Cerf, 1943, p. 195.
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Philo · Vérité et Matière [1] [2]
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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