Par Jean-Christophe Buisson*
Le cinéaste aurait eu 100 ans ce printemps. Celle qu’il appela un jour
sa « muse » le fait superbement revivre dans un livre de souvenirs.
CHER ÉRIC ROHMER, vivant, vous auriez fêté vos 100 ans il y a un mois. Hostile aux réunions et aux rassemblements festifs, vous vous seriez sûrement contenté d’un dîner avec des proches. Dont Françoise Etchegaray.
Celle qui fut durant trois décennies votre assistante, votre régisseuse, votre productrice… et votre protectrice publie un livre de souvenirs sur vous admirable : Contes des mille et un Rohmer (Exils, 272 p., 22 €). On ne doute pas que le Ciel, auquel vous croyiez (« sa foi en l’art, comme sa foi en Dieu, était inconditionnelle ; par la foi seule advient la grâce », écrit joliment l’auteur, dont la sœur est chartreuse), regorge de librairies (ouvertes) où vous pourrez vous le procurer.
Cet essai diablement bien écrit vous plaira. Ni hagiographique ni voyeuriste, il est précis sans être austère, chaleureux sans être lyrique, touffu sans être bavard. Le portrait en creux, amical mais juste, qu’il trace de vous au fil des tournages, des conversations et des rencontres, donne envie de revoir tous vos films. En particulier les derniers, dont on ne soupçonnait pas les combats en coulisses qu’ils avaient suscités : L’Anglaise et le Duc, admirable évocation quasi picturale des excès de la Révolution, et
Triple agent, polar hitchcockien s’appuyant sur un prodigieux travail historique de fond sur les années 1930, l’URSS de Staline, la France des exilés Russes blancs. Rarement gratuites, les anecdotes sont légion et donnent à comprendre l’approche technique — profondément artisanale —, mais aussi esthétique voire morale, que Rohmer avait du septième art. On y croise Depardieu recevant une caisse de Chivas en guise de salaire, Robert Bresson et Barbet Schroeder, Fabrice Luchini et Arielle Dombasle refusant de dire « encore un coup de troussepinette ?», un chat baptisé Mao.
Et Françoise Etchegeray au milieu de tout ça, veillant à tout, pourvoyant à tout, grognonne et dévouée, aussi efficace pour trouver des financements que pour fournir les comédiennes en vêtements : son justaucorps de danse mauve avec une licorne dans Le Rayon vert, une ceinture et un collier dans Conte d’automne, son chemisier caramel dans L’Arbre, le maire et la médiathèque, etc. Capable d’envoyer aussi par vengeance des merguez à un critique de Libération malveillant qui a titré, à propos d’un de ses films, Rohmer au pays des merguez : œil pour œil, dent pour dent, saucisse pour saucisse. Non mais. ■
Post-apostrophum : pour ne rien gâcher, Françoise Etchegaray sait restituer dans toute leur dimension hilarante certaines scènes de vie réelle dignes d’un film des Marx Brothers : ainsi Rohmer hurlant dans la rue « mygale ! » à un quidam qui, aujourd’hui encore, doit s’interroger sur les raisons de cette attaque gratuite, injuste et inattendue…
* Source : Figaro magazine, dernière livraison.
Jean Christophe Buisson est écrivain et directeur adjoint du Figaro Magazine. Il présente l’émission hebdomadaire Historiquement show4 et l’émission bimestrielle L’Histoire immédiate où il reçoit pendant plus d’une heure une grande figure intellectuelle française (Régis Debray, Pierre Manent, Jean-Pierre Le Goff, Marcel Gauchet, etc.). Il est également chroniqueur dans l’émission AcTualiTy sur France 2. Son dernier livre, 1917, l’année qui a changé le monde, est paru aux éditions Perrin.
Merci pour Rohmer..