PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro du 17 avril. Mathieu Bock-Côté s’y livre à un intéressant éloge de Louis de Funès. Non pas à une hagiographie. Dans l’univers de Louis de Funès, dans sa proximité familière, le Français d’aujourd’hui, lassé de l’idéologie, se sent chez lui. « Il n’a pas tort. C’est bien de cela dont il s’agit », conclut Bock-Côté. C’est bien de cela dont il s’agit en effet !
Il y a chez Louis de Funès quelque chose d’irréductiblement français.
À la surprise de tous et au bonheur indéniable de l’immense majorité, Louis de Funès a fait son grand retour à la télévision française.
On le programme et les téléspectateurs sont au rendez-vous. À travers l’expérience inédite du grand confinement, c’est la figure la plus rassembleuse, la plus typique d’une certaine comédie à la française, qui resurgit. Déstabilisée par une crise sans précédent, qui l’immobilise jusqu’à la paralysie, dans un grand confinement en forme d’encasernement, la société française se cherche des rituels pour structurer un moment inédit de l’existence, et s’en est trouvé un.
Louis de Funès permet de rire ensemble. Tout comme avec Fabrice Luchini, les Français se réapproprient leur patrimoine littéraire, avec Louis de Funès, ils renouent avec leur culture populaire. Certains le découvrent, beaucoup le retrouvent en guettant les répliques culte. Plusieurs avaient été immortalisées sur Youtube au fil des ans et les plus jeunes, souvent, ne le connaissaient vraiment qu’à travers elles.
Évidemment, quelques mondains grincent des dents, et ne peuvent s’empêcher de se désoler du phénomène, en prétendant l’expliquer. À les entendre, une coupable nostalgie s’exprimerait, celle de la France moisie. La passion pour Louis de Funès relèverait selon eux d’une paresse mentale, celle d’un peuple préférant les clichés le raccrochant au monde d’hier des Trente glorieuses plutôt que les innovations d’avant-garde annonçant celui de demain. Ils ne sont pas loin de nous dire, avec la morgue qui caractérise les pédants, qu’au fond d’eux-mêmes, Louis de Funès n’était même pas drôle. Ce n’est pas un goût qu’ils expriment, mais un dégoût.
Eux qui rêvent d’un pays converti à l’utopie diversitaire doivent bien constater que c’est le Français franchouillard, râleur, insolent, qui fait rire de bon cœur le commun des mortels, comme si la déconstruction des dernières décennies n’était pas vraiment parvenue à altérer le noyau de l’identité nationale non plus qu’à rendre détestables les personnages qui l’expriment, chacun à leur manière. Des cordes intimes, oubliées, que l’on croyait presque disparues, vibrent toujours, pour peu qu’on les titille. Le grand cabotin fait rire encore. C’est qu’il s’agissait d’un grand artiste.
J’insiste: il y a chez Louis de Funès quelque chose d’irréductiblement français. Ce n’est pas un produit d’importation et il ne s’exportait si bien que dans la mesure où il symbolisait une certaine idée de la France. La société mondialisée voudrait faire rire la planète d’une seule et même manière, comme si les blagues des « stand up » américains devaient faire la loi, de Los Angeles à Berlin en passant par Montréal et Paris. Étrange lubie. Car rien n’est plus intimement lié à une culture que l’humour, qui réfère inévitablement à ses codes et références implicites – c’est la condition même du sous-entendu.
Louis de Funès savait jouer des stéréotypes sans en faire un usage militant. Il évoluait dans un environnement social et mental bien moins contraignant que le nôtre, où on gardait le souvenir d’engagements divergents, qui n’empêchaient pas des êtres contradictoires de chercher à se réconcilier, et même à boire ensemble. Avec ses mimiques, son génie de la formule, son sens de l’absurde, sa capacité d’exagérer tous les traits, Louis de Funès avait développé plus qu’un style: il était devenu un personnage, qu’on reconnaissait quel que soit son rôle. Il n’a pas fait que des chefs d’œuvres, et il n’est nul besoin de transformer son éloge en hagiographie. Mais il a laissé de vrais classiques.
Plusieurs se demandent si un humour comme le sien serait encore permis dans un monde où les professionnels de l’indignation cherchent à interdire tout ce qui les agace ou est censé fragiliser l’estime de soi d’une minorité. Au fond d’eux-mêmes, ils connaissent la réponse. Aujourd’hui, on traiterait probablement Louis de Funès de dérapeur à répétition. Il ne serait pas le seul. Qu’on imagine un seul instant Brassens revenir d’entre les morts et faire quelques chansons. Il devrait vite ranger sa guitare et aurait contre lui tous les groupes de pression qui font fortune en se disant victimes de persécutions systémiques.
L’humoriste contemporain se veut moins drôle que « pédagogique ». En fait, c’est un idéologue. Son objectif: rire du beauf, du Français lambda, ordinaire, encore plus risible s’il est dit de souche. Contre les censeurs, celui qui rit de bon cœur devant un des films de Louis de Funès ne se contente pas de passer un bon moment: il a l’impression, d’un coup, de respirer, de prendre un bol d’air, comme si à travers de vieux films qui ont bien traversé le temps, il renoue avec une liberté dont on l’a dépossédé et transgresse des interdits qui le strangulent à temps plein. Il accède à un territoire interdit et s’y plaît. Il s’y sent chez lui. Il n’a pas tort. C’est bien de cela dont il s’agit. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Louis de Funes est quelqu’un d’éminemment sympathique, de plus il est quasi légitimiste, (ce que je suis aussi , mais en respectant scrupuleusement les dernières volontés du Comte de Chambord en faveur de ses neveux) …Sans rentrer dans le procès en diabolisation évidement absurde de tous ceux qui traitent de franchouillard tout ce qui a un peu de vie et de sève, qui haïssent en fait la France des binious, et les français en général, je ne suis guère accro à ses films ni à ses scénaristes . Il y a un vrai cinéma populaire français ( n’oublions pas que le cinéma est par essence populaire ) que je préfère : celui de Jean Renoir , de Carné Jean Delannoy et même Truffaut, Jacques Becker et aussi de son fils, je crois avec les » enfants du marais » , bref un cinéma d’attention, de découverte, et j’inclurai , oui, Rohmer à la pédagogie subtile , mais dont les héros appartiennent plus à la France profonde , si on réfléchit, ( « Pauline à la plage » etc;.) qu’à celle un peu faisandée des truands ou des grands bourgeois stéréotypés. « L’Anglaise et le Duc » est un film admirable de réflexion, de pédagogie, de réalisme historique qu’on pourrait ( qu’on devrait !)passer dans tous les lycées de France sur notre psychodrame , jamais digéré, de la révolution française. ( Mais n’y comptons avec notre éducation nationale sclérosée au dernier degré , au moins sur ce plan là..) IL nous manque un Wajda, un Clint Eastwod, un John Ford, un Kazan, un Tarkovski, etc;; On pourrait décliner. Notre histoire nationale nous fait mal depuis deux siècles,-cet enfant du Temple enterré vivant- , et nous sommes condamnés à tourner en rond dans un rire un peu stérile, qui n’a rien à voir avec celui jubilatoire d’un Molière. Opinion toute personnelle….