Par Gérard POL.
[Archives – Article publié le 26 octobre 2017].
Angela Merkel a intimé hier 23 avril 2020 aux 26 autres États membres de l’Union Européenne, et tout particulièrement bien-sûr à la France, le refus de l’Allemagne de mutualiser les dettes contractées par les dits États au titre de la lutte contre le Covid 19. C’est très clair et très probablement sans appel. Allons-nous le lui reprocher ? Angela Merkel confirme – ce que nous disons depuis bien longtemps – qu’il n’y a pas de solidarité intra-européenne dès lors que les intérêts vitaux de tel ou tel risqueraient d’être engagés. C’est ce qu’avait prévu le compromis dit de Luxembourg (1966) en un temps où les dirigeants européens se berçaient de moins d’illusions qu’aujourd’hui et où, il faut le reconnaître, De Gaulle veillait au grain. Pour l’Allemagne, mettre en péril les comptes de ses épargnants pour secourir les cigales d’Europe du Sud, est un risque inacceptable, qu’à coup sûr elle ne courra pas. Le contraste est immense et démonstratif entre l’effort que consentit l’Allemagne de l’Ouest pour reconstruire ses länder de l’Est et son dégoût pour toute solidarité européenne risquée… Les liens de l’Histoire et du sang font la différence. C’est ce que nous tentions d’expliquer ici il y a quelque deux ans et demi et qui nous semble demeurer explicatif de l’actuelle décrépitude des relations franco-allemandes. Donc, de l’Union Européenne dans son ensemble.
Certes l’effondrement de l’URSS il y aura bientôt 30 ans [en 2017…] a bouleversé sinon l’ordre, du moins les équilibres du monde. Mais de ce bouleversement est née aussi une nouvelle Allemagne – sous des jours nouveaux l’Allemagne d’avant-guerre – et cela nous semble un second fait majeur.
Il n’est pas inutile de s’y attarder, si l’on veut tenter de comprendre quelle est aujourd’hui la nature, non pas officielle, non pas rêvée, mais réelle, des rapports franco-allemands. Vieille question au fil des siècles, pour la France. Et de nos jours pour l’Europe elle-même.
La jeune génération peine aujourd’hui, et c’est normal, à imaginer ce que fut la guerre froide, la menace d’invasion soviétique sous laquelle vécut alors l’Europe de l’Ouest, le périlleux équilibre de la terreur nucléaire, et la subversion qui émanait continûment de l’Union Soviétique et s’infiltrait dans les démocraties occidentales. Accessoirement aussi de la Chine de Mao.
A la menace soviétique, c’est l’Allemagne qui était la plus exposée, elle qui en eut le plus conscience et le plus à craindre. Même s’il n’eût fallu que quelques heures aux chars russes pour traverser son territoire, passer le Rhin et entrer dans Strasbourg…
Mais ce détestable système avait fini par installer une sorte d’ordre mondial. Son écroulement aux alentours de 1990, devait être un événement considérable et l’on en eut assez vite, l’on en a encore, pleine conscience. Les conséquences n’en furent pas toutes positives : les Américains se crurent pour longtemps – ou même pour toujours – les maîtres du monde.
On a moins commenté, moins évalué, moins accordé d’importance à cet autre événement aux conséquences considérables, au moins à l’échelle européenne, que fut la réunification de l’Allemagne en 1989. Nous nous sommes habitués à sa forme actuelle, qui nous semble naturelle, sans nous rappeler que l’Allemagne a vécu divisée, brisée par le rideau de fer qui la coupait en deux, en deux Etats, pendant quasiment toute la seconde moitié du XXe siècle, l’après deuxième guerre mondiale. L’Allemagne à laquelle nous sommes maintenant confrontés n’est plus la même et nous n’avons pas encore vraiment pris la mesure de ce changement.
De Gaulle disait volontiers de l’Allemagne de son temps qu’elle avait « les reins cassés ». Elle était amputée des cinq länder de l’Est, de 110 000 km2, près du tiers de son étroit territoire actuel (à peine 357 000 km2), et de 17 millions d’Allemands. L’Allemagne de l’Ouest, sans la Saxe, la Thuringe, le Brandebourg, était rhénane, sa capitale était à Bonn, au bord du Rhin, et Konrad Adenauer, son vieux chancelier, avait été, avant-guerre, maire de Cologne, capitale rhénane s’il en est. Avec cette Allemagne-là, vaincue mais déjà renaissante, prospère et bourgeoise, avec Adenauer, De Gaulle n’eut pas de peine, autour de 1960, â sceller la réconciliation franco-allemande qui s’imposait après un siècle de guerre. Les deux vieillards en inventèrent les symboles et le traité de l’Elysée la formalisa. Bien qu’il ne fût pas sans ambigüités et qu’il y eût déjà de notables disparités entre l’Allemagne et la France, sur le plan de leur population comme de leur économie – l’industrie et l’agriculture françaises étaient alors florissantes – le couple franco-allemand était équilibré.
Cet équilibre a été rompu par la réunification. De Gaulle savait qu’elle ne manquerait pas de se faire. Vingt ans devaient passer après sa mort : les cinq ans de la présidence interrompue de Georges Pompidou, le septennat de Valéry Giscard d’Estaing et le premier mandat de François Mitterrand. C’est au début du second que l’on vit assez soudainement tomber le mur de Berlin et s’effondrer la RDA, sans que Moscou ne bouge. L’Action française avait toujours dit que Moscou détenait les clés de la réunification allemande. Et Moscou la laissa se faire, livrant sans sourciller ses amis, les dirigeants du régime communiste de Pankoff, à leur triste sort. Les poubelles de l’Histoire, l’oubli. François Mitterrand s’émut, s’effraya même, dit-on, de cette réunification en train de s’opérer, dont il voyait bien qu’elle affaiblirait la position de la France en Europe. Il tenta de s’y opposer, de concert avec Margaret Thatcher. Il était dans la nature des choses, sans-doute, que ce fût peine perdue. Faute de n’y rien pouvoir, l’on s’y résigna à Londres comme à Paris. Restait à l’Allemagne à digérer l’Est, exsangue, ruiné, avec une économie, des infrastructures, hors le temps et hors d’usage. Helmut Kohl fut l’homme de la réunification, de la reconstruction et de la remise à niveau de l’Allemagne de l’Est, effort gigantesque, de pure volonté politique, revanche sur la défaite et sur l’Histoire, clair effet du sentiment national allemand. L’Europe n’eut rien à y faire, rien à y voir. Les sacrifices que les Allemands de l’Ouest durent consentir pour réhabiliter les länder de l’Est, en langage simple se serrer la ceinture, ne furent pas, ici ou là, sans quelques grincements de dents et récriminations, mais, quels qu’ils fussent, le sentiment national allemand, en définitive, joua à fond. La solidarité interallemande ne fit pas de question, quand la solidarité de l’Allemagne fut refusée, plus tard, à la Grèce, ou quand elle l’est aux pays du Sud, dits du Club Med, par les épargnants et les retraités d’Outre-Rhin. L’intégration et la reconstruction de l’Allemagne de l’Est fut menée à l’allemande, rondement, massivement, relativement vite, s’agissant d’une entreprise considérable et sans-doute, après presque trente ans, peut-on considérer sa mise à niveau comme achevée, encore qu’à maints égards, l’ex Allemagne de l’Est reste différente, et se souvient, parfois avec certains regrets – maints observateurs en sont surpris – du temps où elle était communiste.
Pourquoi nous remémorer ainsi ces faits d’Histoire récents ? ‘Bien-sûr pour nous éclairer sur ce qui a forgé l’Allemagne d’aujourd’hui, ce qui la structure socialement et politiquement.
Réunifiée et reconstruite, nous avons affaire à une Allemagne qui n’est plus celle d’Adenauer, Ludwig Erhardt ou Helmut Schmidt. Sa capitale n’est plus à Bonn mais à Berlin ; son centre de gravité s’est déplacé vers l’Est et vers de vastes territoires centraux, eux aussi sortis – mais pauvres – du communisme, réservoirs de main d’œuvre à bon marché et d’unités de production utilisables ; la population de l’Allemagne n’est plus, comme hier, grosso modo celle de la France, qu’elle dépasse aujourd’hui de 15 millions (81 contre 66) ; quant â son économie, qui fut, il n’y a pas si longtemps, elle aussi défaillante – avant les réformes Schroeder – elle a désormais sur l’économie française, une criante supériorité. L’on connaît bien les quelques paramètres qui permettent d’en prendre la mesure : Le taux de chômage allemand autour de 5%, le nôtre au double ; son budget excédentaire (24 milliards en 2016) quand celui de la France reste en déficit de 3% ; mais plus encore, le commerce extérieur français qui se solde par un déficit de 50 milliards, tandis que celui de l’Allemagne dégage un excédent de 250 milliards (2016) soit un différentiel de 300 milliards (3 400 milliards cumulés pour les dix dernières années !). Encore faut-il prendre en compte le nombre d’entreprises de taille intermédiaire (TPI) qui est en Allemagne le triple du nôtre, formant un puissant tissu industriel qui fait de l’Allemagne le premier exportateur mondial, devant l’énorme Chine !
Avec de tels écarts, le couple franco-allemand n’en est plus un. Il s’est mué en simples rapports de vassalité, où les conflits d’intérêt réels remplacent peu à peu les apparences d’une relation de couple. De sorte que, comme la pérennité de ce dernier est en effet indispensable à la poursuite du projet européen, jamais l’Europe rêvée naguère n’a été aussi éloignée du champ des possibles. En position dominante, l’Allemagne n’a nulle intention de renoncer à une once de sa souveraineté.
Faut-il lui reprocher son insolente réussite ou plutôt à la France d’avoir décroché, d’avoir sacrifié son industrie au mondialisme, de l’avoir délocalisée à tour de bras, d’avoir détruit son agriculture qui pourtant a tout pour être la première en Europe ? Au reste, l’Allemagne a ses propres problèmes, ses propres faiblesses, qui ne sont pas minces du tout. Si son industrie triomphe, sa démographie s’écroule ; de ce point de vue, l’Allemagne s’effondre sur elle-même et cela augure mal de son avenir ; avec 25% de retraités, elle n’est plus un peuple jeune. Il n’est de richesses que d’hommes : on ne les remplace pas par des excédents monétaires ni, durablement, par des flux massifs de migrants. A bien des égards, après avoir sacrifié beaucoup à la compétitivité de ses entreprises – avec quel succès ! – l’Allemagne vieillit même dans ses infrastructures et cela se voit, s’éprouve, on ne pourra pas les laisser vieillir indéfiniment … Il faudra bien investir, lancer de grands travaux. Les sacrifices salariaux ne seront peut-être pas, non plus, acceptés éternellement, même si l’appel aux migrants fait, ici comme ailleurs, pression à la baisse sur les salaires. Il n’est pas sûr, surtout à l’Est, que les équilibres sociaux soient indéfiniment maintenus en Allemagne. Une certaine renaissance du sentiment national allemand face à la politique européenne et migratoire d’Angela Merkel – pas seulement du fait de l’AfD mais surtout de sa nécessaire alliance avec les Libéraux eurosceptiques – peut très bien se conjuguer à une résurgence de la revendication sociale.
Ainsi, sans rupture ni inimitié, le couple franco-allemand comme moteur de l’Europe s’éloigne par la force des choses. Après le départ britannique, l’Allemagne est bordée aujourd’hui d’Etats résolus à défendre leur souveraineté et leur identité, face à Bruxelles, Berlin ou même Paris. Et l’Autriche vient de les rejoindre. Quant à la France, plutôt que de se divertir dans des rêveries procédurales de refondation de l’Europe, dont elle n’a pas à elle seule le moindre moyen, le plus sérieux, sinon le plus facile ni le plus immédiat, serait de travailler à reconstruire sa souveraineté, c’est à dire sa puissance. Economique, morale et politique. Cela pourrait lui prendre dix ou vingt ans. Ce serait le meilleur service qu’elle pourrait rendre à l’Europe. ■
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
L’huile et le vinaigre finissent par se séparer….
Cher Gérard,
Tu n’évoques pas deux facteurs clé dans la comparaison entre la France et l’Allemagne :
1. Le facteurs « défense » : la France supporte seule 3 à 4% de dépenses pour la défense de ses intérêts, des intérêts de ses alliés et des pays de sa zone d’influence, et l’Allemagne bénéficie de cet effort Français sans en payer le prix. C’est la raison qui a longtemps fait tolérer le « déficit » Français de 3% que F.Mitterand avait fixé.
2. L’Allemagne a réussi, pour financer l’effort de réunification, à imposer une monnaie forte conforme à ses intérêts : la cotation de l’Euro qui devait être de 1 Euro = 1 dollar, n’a jamais été respectée. Toutes les études démontrent aujourd’hui que cette sur évaluation de l’Euro a été payées par la France, l’Italie et l’Espagne.
Cher Henri,
Tu as raison. Cet article n’est pas exhaustif.
Sur le premier point, il me semble pourtant que l’Allemagne n’a jamais vraiment compté sur la France pour sa défense. Et qu’elle s’en remet essentiellement aux Etats-Unis. De plus, aujourd’hui, en l’absence de véritable menace extérieure, j’ai l’impression que l’apport français en la matière lui paraît plutôt théorique. Les Allemands sont d’instinct beaucoup plus pragmatiques que nous… Enfin, s’agissant de nos interventions extérieures, pour ce que j’en sais, l’Allemagne, à tort ou a raison, considère que l’Afrique n’est pas son domaine d’un point de vue géopolitique.. Mais il est bien vrai en tout cas que ces différents facteurs l’ont dispensée de dépenses militaires à hauteur de son rang.
Sur la surévaluation de l’Euro, je suis bien-sûr, d’accord. En revanche, même si nous y avons contribué, la réunification lui a coûté des sommes colossales au prix de sacrifices importants des citoyens de l’Ouest. J’ai eu personnellement l’occasion de m’en rendre compte dans le monde des entreprises outre-Rhin.
Mais je ne prétends pas avoir forcément raison ! Cordialement.
L’ALLEMAGNE a aussi une politique sociale moins onéreuse que la France. Par exemple 2 refus d’accepter un emploi, (la 3ème fois c’est emploi à prendre, peut importe lequel ou sinon pas de chômage). Il y a aussi des emplois à 5€ de l’heure. Elle n’a pas de dépenses militaires comme la FRANCE qui elle dispose de l’arme nucléaire, d’où économie pour notre voisine.
Par contre le talon d’Achille du pays de GOETHE, c’est une population vieillissante, peu d’enfants, c’est la 1ère chose que l’on remarque en y allant.
L’argent que l’Allemagne a utilement mis dans sa partie orientale, nous l’avons dilapidé en Afrique…. Comme, dans l’Entre-deux-guerres, nous avions construit dans nos colonies des routes et des ponts au lieu de nous occuper de notre territoire…. Aucune ligne de chemin de fer avant le TGV de 1980, un programme autoroutier qui a pris vingt ans de retard et ainsi de suite….
Nous payons aujourd’hui les conneries colonialistes du passé.