Par Gérard Leclerc.
S’il faut trouver une cohérence à nos publications de ce samedi – et il nous paraît bon qu’il y en ait toujours une, même ténue – on observera que, plus loin, Jean-Christophe Buisson, dans sa chronique des écrans, évoque Le Souper, la pièce de Jean-Claude Brisville qui met en scène, après la chute de Napoléon et avant le retour des Bourbons, Talleyrand et Fouché. Fouché qui, justement, a fait l’objet d’un des plus beaux, des plus terribles et des plus profonds essais biographiques de Zweig. En évoquant ce grand esprit européen, comme l’Autriche de la première moitié du XXe siècle en a produit quelques-uns, en évoquant Stefan Zweig mort en 1942, au Brésil où il avait rencontré Georges Bernanos, Gérard Leclerc nous invite, lui aussi, à user du secours de la littérature.
On prétend que la littérature peut être d’un grand secours dans une période si difficile, permettre au moins de s’évader. Et si elle permettait aussi de mieux éclairer nos sentiments ou de mieux percevoir la complexité de ce que nous vivons…
Est-il permis de rêver en ce moment ? Est-il permis de s’évader grâce à la littérature, dont on prétend que nos loisirs forcés devraient favoriser la lecture ? Pourquoi pas ? Un simple texte peut vous propulser hors de votre confinement, ne serait-ce que pour anticiper ce qui devrait se passer demain. Comment imaginer, par exemple, notre sortie de la crise ? Selon son tempérament, on pensera diverses hypothèses. Les plus optimistes songeront à une grande fête, où on pourra enfin se tenir par les mains et s’embrasser sans courir de péril. On peut se montrer aussi plus prudent. Je lis, ces jours-ci, un recueil d’article d’un grand écrivain d’origine autrichienne, Stefan Zweig, et ne puis m’empêcher de trouver une analogie directe avec notre éventuelle sortie de crise et ce qu’il décrit de ses dispositions intérieures, lorsqu’il apprend que la Première Guerre mondiale va, enfin, prendre fin.
« Pourquoi n’es-tu pas plus joyeux encore ? Comment peux-tu rester si pondéré, si calme, si posé, si maître de toi – n’as-tu pas lu ce mot, n’en as-tu pas saisi le sens : “la paix arrive” ? Je me concentre de plus en plus profondément, prêtant l’oreille pour capter cette certitude nouvelle, guetter l’instant où elle surgirait dans un sanglot de bonheur, où elle se précipiterait, ardente, à la rencontre de ce mot : la paix. » La transposition peut se faire aisément, en remplaçant ce mot de paix par celui de sortie de crise sanitaire. Éprouverons-nous les mêmes sentiments lorsqu’on saura que l’épidémie s’en est allée, que tant d’êtres chers ont, malgré tout, été épargnés et qu’une nouvelle page blanche s’ouvre, surtout pour nos enfants et nos petits-enfants ?
Oui, mais il est bien possible aussi que notre joie n’apparaisse que sur un mode mineur, nous laissant sur la perplexité de Stefan Zweig : « Mais la flamme du plaisir, la grande joie, la félicité, où était-elle ? » La mélancolie guette alors : « Le monde est fatigué d’avoir connu trop de tourments, nous le sommes aussi, nous aussi, d’avoir trop attendu, nos sentiments sont pesants, sont inertes, telle de la paille humide que la tempête aurait jetée à terre. » Sans doute, la littérature nous ouvre bien des portes de sorties. Mais la réflexion d’un grand écrivain a ce mérite de nous avertir de la complexité de notre approche des événements. Sans oublier qu’au sein de notre mélancolie une joie très pure peut naître, parce que la vie a été la plus forte. ■
Gérard Leclerc est journaliste et éditorialiste à France Catholique et sur les ondes de Radio Notre-Dame. Il a récemment publié Sous les pavés, l’Esprit (Salvator, 2018).
Et oui, la paix, juste la paix!