Par François Marcilhac.
« D’aucuns cherchent encore à refaire l’unité européenne sur je ne sais quel matérialisme transcendant. » Henri Massis, 1927 – Défense de l’Occident
Comme toujours, lorsque l’Europe n’arrive pas à s’entendre, c’est la même rengaine de la part des eurobéats : c’est qu’il n’y a pas assez d’Europe. Ainsi Macron d’appeler le jeudi 23 avril, devant l’absence de consensus sur l’aide à apporter aux pays européens les plus touchés par la crise du coronavirus, à « aller plus loin, plus fort » vers « la souveraineté européenne », « un concept que la France pousse depuis près de trois ans », c’est-à-dire depuis son discours de la Sorbonne du 27 septembre 2017. Discours sur la refondation de l’Europe « souveraine, démocratique et unie », qui se voulait lui-même fondateur et avait été reçu assez fraîchement par nos partenaires, notamment par Mme Merkel, au grand dam de notre nouveau Julien Benda — maître revendiqué de Macron —, lui-même auteurd’un Discours à la nation européenne en 1933, dans le droit fil explicite, et inquiétant, de Fichte : « Ce n’est pas le Zollverein qui a fait l’Allemagne, ce sont les Discours à la nation allemande de Fichte, ce sont les professeurs de morale qui en sont issus. »
On se tromperait toutefois si nous réduisions la politique de Macron à celle d’un illuminé. Si le nouveau monde qu’il entend nous préparer sent, avec Julien Benda, la naphtaline, ne soyons pas dupes. Macron est assez intelligent pour savoir que cette « souveraineté européenne » dont il serine les Français et qui laisse totalement indifférents nos partenaires est, au mieux, un concept creux, au pire, un concept monstrueux, comme « la fédération des Etats nations » de Jacques Delors. Il n’emploie le mot de « souveraineté », qu’il colle à l’adjectif « européen », que pour rassurer des Français qui ne se sont toujours pas réconciliés avec la supranationalité et qui ont montré, en 2005, leur attachement à ces choses ringardes que sont l’indépendance de la patrie et la souveraineté nationale — c’est pourquoi ils sont privés depuis quinze ans de référendum, comme des enfants désobéissants de dessert. Bref, cette « souveraineté européenne » n’est que le faux nez d’une réalité qui progresse, depuis l’origine même du « projet » européen, à petits pas : la disparition du politique au profit du gestionnaire, celle du gouvernement des hommes au profit de l’administration des choses, encore appelée gouvernance, une espèce de monocratie administrative bruxellois, qui a pris la place, en France, de cette monarchie administrative léguée par la Révolution, qui s’était engraissée, grâce la centralisation jacobine, de la faiblesse de l’exécutif durant 150 ans. Saint-Simon est le vrai père fondateur non de l’idée européenne, mais de l’Europe institutionnelle.
Sur la page « gouvernance européenne », désormais archivée, de son site, la Commission européenne avoue que la gouvernance est une « forme dite postmoderne des organisations économiques et politiques » où il serait désormais possible de « gouverner sans gouvernement » Oui, nous avons bien basculé dans le « despotisme doux et éclairé » avoué par Jacques Delors en la cathédrale de Strasbourg le 7 décembre 1999, où il invitait l’Europe — quel aveu ! —, et sans craindre le blasphème en ce lieu, « à se transfigurer dans un projet porteur de sens ».