Entretien par Alexandre Devecchio.
Charles Consigny est avocat et écrivain, ancien chroniqueur de l’émission « On n’est pas couché ». C’est dire qu’il sait de quoi il parle ; qu’il connaît le petit monde aussi tyrannique que libéré dont il parle. Il n’en est pas dupe et, même si l’on n’est pas d’accord sur tout, on aime bien la critique qu’il en dresse en connaisseur, voire en participant de cette fête bobomédiatique qui commence à lasser sérieusement les Français normaux. Il estime, nous dit Le Figaro en préambule de cet intéressant entretien, que pour les people en quête de notoriété ou les extrémistes de l’écologie, la crise actuelle est une aubaine Elle leur fournit un prétexte rêvé pour continuer d’étaler leurs lubies liberticides. Mais ces dernières ne sont pas que liberticides. Leurs ambitions sont plus vastes : tuer la nation, la société, l’homme de quelque part. En fait son héritage dans son entier ! [FigaroVox, 8 mai],
FIGAROVOX.- Juliette Binoche, Robert de Niro, Vincent Lindon… De nombreuses célébrités prennent la parole et proposent leurs idées pour le «monde d’après». Que cela vous inspire-t-il ?
Charles CONSIGNY.- Pour conserver une place de choix dans le monde du spectacle, il y a certaines démarches à accomplir, qui contribuent à faire de vous quelqu’un qui compte. Les grandes proclamations vertueuses en font partie. Plus elles sont véhémentes, mieux c’est. Le discours halluciné d’un Vincent Lindon en lunettes fumées qui demande avec des trémolos dans la voix des impôts pour les riches et la prison pour les élus me paraît assez typique du genre. Je ne mets pas en doute sa sincérité, mais en l’occurrence il ne me paraît pas très au fait de ce dont il parle: la France, ce pays « si riche », ne ferait rien pour les plus démunis. Ah bon ? Le chômage partiel, qui évite des milliers de licenciements, ça n’existe pas? Plus de 8 millions de salariés français sont en ce moment au chômage partiel, payé par l’Etat. L’aide exceptionnelle de 1500€ par mois pour les indépendants, ça n’existe pas? Et les intermittents du spectacle protégés jusqu’en 2021 ? Idem pour sa proposition d’impôt sur les plus gros patrimoines: ça existe déjà! Nous sommes le pays qui taxe le plus au monde après la Corée du Nord et Cuba, ce qui sert notamment à financer le cinéma français, permettant à certains producteurs et comédiens de faire des films dans des conditions très confortables grâce à l’argent public. Donc je ne sais pas trop, je suis un peu consterné par toutes ces initiatives qui me paraissent démagogiques. Ne parlons même pas de la tribune de Juliette Binoche et autres Robert de Niro ou Madonna dans Le Monde: des gens qui passent leur temps dans des avions et consomment chacun comme une dizaine de familles pauvres nous expliquent qu’il est urgent de «changer en profondeur nos modes de vie et de consommation». Ah bon !
Nicolas Hulot a publié ses « 100 principes pour un nouveau monde ». Qu’en penser ?
Sans nier l’urgence climatique et la nécessité de transformer notre modèle pour y répondre, il me semble que les principes de Nicolas Hulot disent assez bien ce qui se cache derrière ce «monde d’après» qui nous est réclamé un peu partout: c’est le grand retour de la gauche, avec un parfum d’autoritarisme qui me paraît inquiétant. Quand Hulot écrit: «Le temps est venu de la sobriété» ou «Le temps est venu d’une économie qui préserve et redistribue à chacun», il ne fait rien d’autre que de nous refourguer un vieux programme socialiste! Quand il dit qu’on ne pourra plus «avoir un produit qui arrive par Amazon du bout du monde en vingt-quatre heures», ou qu’il espère qu’on ne pourra plus «acheter des bolides ou des SUV», la finalité est là: c’est leur vieux rêve d’un monde triste, rationné, qu’ils ont déjà largement réussi à instaurer en France. Un de mes professeurs de collège disait: «la France, c’est l’URSS qui aurait réussi». La grande gabegie qui est en cours et va s’accentuer en guise de réponse à la crise ne fera d’ailleurs qu’aggraver le problème: il faudra rembourser la dette et la fiscalité s’alourdira encore, en même temps que l’emprise de l’État qui va atteindre des proportions dignes de dystopies. En outre, une fois que nous aurons emprunté 200 % de notre PIB, quelle sera notre marge de manœuvre si une nouvelle crise de cette ampleur ou plus grave nous frappe ? Nous n’aurons plus les moyens d’y répondre.
Quelles leçons tirer de cette crise sanitaire dans ce cas ?
Si l’on prend un peu de recul, on ne peut pas faire dire n’importe quoi à cette crise sanitaire. C’est une maladie virale, ça n’est pas, par quelque bout qu’on la prenne, une crise du capitalisme. À part les déplacements d’individus par avion aux quatre coins du globe qui ont contribué à la propagation du virus, il me semble qu’aucun lien ne peut être fait avec le modèle soi-disant «ultra-libéral». L’offensive politique en cours est donc non seulement sans fondement, mais elle est même absurde: par exemple, la mondialisation tant décriée a permis une mondialisation de la réponse médicale. Le monde entier s’est coordonné pour répliquer au plus vite à ce virus et trouver des moyens d’endiguer sa propagation et soigner les malades. C’est cette même mondialisation, ce même modèle libéral, qui, outre le fait qu’il a sorti des millions de gens de la pauvreté, permet l’innovation technologique, indispensable à une bonne médecine. Il faut continuer à défendre ce modèle.
Anne Hidalgo a dévoilé son plan pour sortir Paris de la crise sanitaire annonçant qu’ «il n’était pas question de laisser Paris envahi par les voitures» . Que cela vous inspire-t-il ?
Comme de très nombreux Parisiens, je suis favorable à la réduction du nombre de voitures dans Paris, mais je trouve qu’Anne Hidalgo procède de manière autoritaire. Je pense qu’elle ne devrait pas avoir le droit de faire ce qu’elle fait. Elle a défiguré la rue de Rivoli, elle tombe dans tous les panneaux de l’époque, nous inflige des concerts solidaires et des murs végétalisés, laisse les fanatiques du mouvement «Extinction Rébellion», qui ressemble quand même furieusement à un groupuscule fasciste, bloquer la circulation dans tout le centre de la capitale… Jamais à court d’une vacherie pour la population, elle lui a maintenant interdit de faire du jogging pendant la journée! Anne Hidalgo nous fait vivre dans un cauchemar de Philippe Muray.
Plus globalement, en tant que défenseur des libertés, que pensez-vous de la crise du Coronavirus? Va-t-on retrouvé les libertés perdues ?
Franchement, tout le monde devrait être inquiet. Alors que la pandémie marque le pas, des mesures gravement liberticides sont maintenues et aucune date n’est définie, ou même esquissée, quant à un retour à la normale. On ne peut pas persévérer dans un système où les individus doivent disposer d’un justificatif pour sortir de chez eux. Aucun gouvernement ne doit pouvoir imposer cela. Si le nombre de contaminations continue de diminuer d’ici à l’été, il faudra mettre fin à l’intégralité de ces mesures. J’espère en tout cas que les Français ne se laisseront pas intoxiquer par les divers discours fiévreux que l’on entend actuellement et retrouveront après ce cauchemar le goût de leur liberté. ■
Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il vient de publier Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016). Dernier ouvrage paru : Recomposition, 2019. [Ci-dessus]