Il fut un temps pas si lointain – le rédacteur de ces lignes l’a vécu – où il était assez mal vu à l’Action française – parfois interdit – de citer Georges Bernanos. C’était la survivance de querelles anciennes que l’on n’avait pas su surmonter. Les choses ont bien changé aujourd’hui. Bernanos est très présent, très commenté, très louangé aujourd’hui à l’A.F. et, bien-sûr, au-delà. Mais en parle-t-on toujours en connaissance de cause ?
Je Suis Français a choisi de remonter aux sources de la relation entre Georges Bernanos, Charles Maurras et l’Action française dans son ensemble, en publiant de larges extraits de l’évocation qu’en donne Henri Massis* dans son Maurras et notre temps. Massis a vécu les événements qu’il relate de très près, il en a été l’un des acteurs, très proche des protagonistes. C’est, à notre sens, une source incontournable pour qui veut savoir et comprendre.
* Henri Massis – Wikipédia
Une poignée d’irréguliers..
A l’intérieur de ce petit groupe*, de cette poignée d’ « indépendants », d’ « irréguliers » .que formaient, parmi les camelots de Maxime Real del Sarte et de Lucien Lacour, ses amis Charles et Ernest de Malibran, Yves et Maxence de Colleville, Guy et Paul de Bouteiller, Georges Bernanos était non seulement l’aîné, le « mentor », mais par ses diatribes, ses éclats, ses sarcasmes, « il nous maintenait, dira l’un d’eux, dans cette voie exempte de compromis que nous nous étions tracée nous-mêmes ». Ah! il ne fallait pas compter sur ces réfractaires pour qu’ils devinssent jamais des partisans dociles ! Ces jeunes animaux, qui chassaient de race, on ne pourrait jamais les domestiquer ! Ils avaient la tête et le cœur trop chauds pour devenir des séides! Et s’ils donnaient tout à la cause royaliste, représentée sans conteste par la jeune Action française, n’arrivait-il pas certains jours, à Bernanos et à ses amis, de regretter entre soi, en petit comité, « les anciens bouchers de la Villette, la troupe des Sabran et des Morès, Drumont, et même parfois les comités et le préfet de monseigneur le duc d’Orléans » ! Pour ces garçons, une seule chose comptait : le coup de force ! Ils ne connaissaient que l’action — l’action « par tous les moyens, même légaux ».
En attendant, eh bien, ils se battaient avec leurs camarades partout où il y avait de la bagarre : à Versailles, quand fut élu Poincaré, à Paris sur le boulevard du Palais, au cours de Thalamas à la Sorbonne, et, dans la rue Cujas, contre les bandes à cravate bleue que conduisait le « petit Franck ». Après quoi, ils passaient quelques jours ou quelques mois en prison, au quartier politique de la Santé, mêlés aux gens de la Guerre sociale, les Almereyda, les Méric, les Merle; ils partageaient leurs provisions avec les terrassiers, ils chantaient ensemble tour à tour : Vive Henri IV OU l’Internationale !
Il leur arrivait aussi d’en venir aux mains et de descendre tous au « mitard »! N’est-ce point de sa cellule que Bernanos devait dater l’un de ses premiers articles, imprimé par Soyons libres, organe du « libéralisme intégral » !
En sortant de prison, les « hommes de guerre » étaient naturellement disposés à trouver que le « coup de force » tardait trop. Ils ne laissaient pas, sous cape, de fronder parfois jusqu’à Maurras, en raison, disaient-ils, de « toutes les folles et des vieilles rombières qui l’entouraient et essayaient d’accaparer le Maitre » !
Dégoûtés de ce qu’ils appelaient — déjà! — de « la stagnation », les Colleville, les Malibran avaient essayé, en 1913, de se mettre en relation avec les tenants de la légitimité au Portugal et d’entrer, avec Bernanos, dans leur conspiration. Plusieurs plans avaient été conçus, notamment un coup de main qui devait partir du Vasco de Gama, chargé d’armes, et être dirigé contre la flotte en rade de Lisbonne ! C’était là leur mission propre, conjuguée, d’autre part, avec une action dans l’Angola ! Rien ne sortit de ces merveilleux projets.
Là-dessus, Maxence et Guy de Colleville étaient partis pour le Paraguay, dans le dessein d’y fonder, à leur manière, « une nouvelle France » ; et, en mars 1914, Ernest de Malibran était allé les rejoindre. Bernanos, lui, ne devait aborder que vingt-cinq ans plus tard dans ce pays qui, avec ses fleuves, ses troupeaux, avait été le rêve de sa jeunesse et fut le premier lieu de son exil. (À suivre) ■
* Partie précédente [1]
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
La leçon du léninisme : la discipline est indispensable à un coup de force non-rêvé…