Il fut un temps pas si lointain – le rédacteur de ces lignes l’a vécu – où il était assez mal vu à l’Action française – parfois interdit – de citer Georges Bernanos. C’était la survivance de querelles anciennes que l’on n’avait pas su surmonter. Les choses ont bien changé aujourd’hui. Bernanos est très présent, très commenté, très louangé aujourd’hui à l’A.F. et, bien-sûr, au-delà. Mais en parle-t-on toujours en connaissance de cause ?
Je Suis Français a choisi de remonter aux sources de la relation entre Georges Bernanos, Charles Maurras et l’Action française dans son ensemble, en publiant de larges extraits de l’évocation qu’en donne Henri Massis* dans son Maurras et notre temps. Massis a vécu les événements qu’il relate de très près, il en a été l’un des acteurs, très proche des protagonistes. C’est, à notre sens, une source incontournable pour qui veut savoir et comprendre.
* Henri Massis – Wikipédia
L’ « Avant-Garde » de Rouen…
En attendant, l’Action française avait, dès 1913, confié à Georges Bernanos le soin de relever et de diriger un hebdomadaire de Rouen, l’Avant-Garde, pour en faire l’ « organe du nationalisme intégral en Haute-Normandie ».
Dans chaque numéro, Bernanos donnait un éditorial politique. Mêlé aux rivalités du cru, aux luttes électorales, il s’était aussitôt lancé dans des campagnes d’une violence bien faite pour ébouriffer les « accroupis », les bien-pensants du monde conservateur rouennais, encore qu’il y vitupérât contre leur bête noire, cet ancien professeur de philosophie au lycée, Emile Chartier, qui, sous le pseudonyme d’Alain, publiait dans la Dépêche d. Rouen ses fameux « Propos d’un Normand ».
Bernanos – qui, d’ailleurs, ne l’avait jamais vu — tutoyait Alain, le couvrait d’injures, le traitait ,de « niais sans gaîté ». « Ce n’est pas ton idée, Alain, que je méprise, vociférait Bernanos, c’est toi-même, sophiste obscur ! » Et comme averti que le jeune sang français allait bientôt couler de toutes parts, Bernanos jetait au visage d’Alain son dégoût : « En attendant, s’écriait le jeune directeur de l’Avant-Garde, en attendant de tomber au coin d’une haie pour un sacrifice inutile et avant de lâcher ton oreille d’âne, je veux te dire, Alain, si je peux, combien je sens ta bassesse ! » Tel était déjà le ton de la polémique bernanosienne. Elle n’a jamais changé.
Les « bourgeois » du Journal de Rouen ne mettaient pas Bernanos moins en colère ; et quand son directeur, M. Lafond, prit parti en 1913 contre Maurras, – que la République poursuivait devant les tribunaux à je ne sais plus quel sujet – Bernanos, pour la première fois, va dire ce que la jeunesse doit à Maurras et répondre à l’attaque des « modérés » par cet hommage qui est un engagement : « Certes, avant que d’écouter les leçons d’un tel maître, par nos origines, par nos instincts profonds, par mille fibres, oui, nous appartenions à la France, mais il a discipliné cet amour et, doublant notre élan par l’accent de l’intelligence et du cœur, il nous a charmés tout entiers. Les juges peuvent bien condamner, la presse asservie faire silence, Maurras a maintenant partie liée avec la France éternelle. Il partagera son destin. Logiquement un jour viendra où tous ceux qui veulent servir la patrie trouveront en cette pensée leur accord, car elle est placée au centre même des nécessités du salut public. Ce n’est pas en vain que Maurras appelle à l’aide devant le jury consterné sa famille spirituelle. Mais la jeunesse lui répond. Pour protéger le cerveau du pays, nos bras sont levés. Vous ne le toucherez pas ! Avant que cette clarté ne s’éteigne, avant que cette voix ne se taise, tout notre sang aura coulé. Essayez contre nous vos lois et vos hommes ! Nous sommes les serviteurs du premier serviteur du Roi! »
Quelques mois plus tard, c’était la guerre, Bernanos n’avait pas été tout de suite mobilisé (il ne devait l’être qu’en novembre). En août 1914, il passait ses vacances avec ses parents au bord de la mer, à Saint-Valéry-sur-Somme, où la déclaration de guerre l’avait surpris. Chaque matin, Georges Bernanos venait lire les nouvelles du front qu’on affichait à la porte de la mairie.
Le 21 août, mêlé aux baigneurs et aux gens du pays, il lut avec stupeur le fameux communiqué : « De la Somme aux Vosges… » qui laissa tout le monde atterré. « Qu’elle crève!… Qu’elle crève! », se mit à hurler Bernanos en trépignant de colère et de honte. On crut que ce jeune et vigoureux garçon (on le regardait déjà de travers : pourquoi n’était-il pas aux armées ?) on crut, dis-je, que Bernanos voulait parler de la France ! Il s’agissait de la République ! Mais il faillit être lapidé ! Tout Bernanos est déjà là ! (À suivre) ■
* Parties précédentes [1] [2]
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