Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Certes des précédents existent qui ont agité la zone euro mais, cette fois (mardi 5 mai), c’est extrêmement violent : le Tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe donne trois mois à la B.C.E. pour justifier ses rachats de dette publique (2200 milliards d’euros depuis 2015, récent plan d’urgence de 750 milliards compris) mais s’en prend aussi à la Cour de justice de l’Union européenne qui se serait arrogé le droit de donner son quitus à l’opération. La B.C.E. est tout simplement accusée d’avoir contourné les traités en finançant indirectement certains Etats (M. Draghi aurait ainsi en son temps favorisé l’Italie) et la C.J.U.E. de s’ériger en incarnation d’une inexistante souveraineté supranationale.
Cette seconde accusation est d’importance car faire primer l’identité constitutionnelle allemande conduit à récuser la notion de souveraineté européenne. Rappelons la décision du 30 juin 2009 de ce même tribunal constitutionnel affirmant « qu’il n’y a pas de peuple européen », décision qui illustre la continuité de la jurisprudence allemande dans ce domaine.
Approche quasi gaullienne, donc, d’une Allemagne qui fait primer ses propres intérêts. La première accusation est en effet motivée par la crainte d’une mutualisation rampante des dettes des Etats membres (hors de question de payer pour les autres) et la défense de l’épargne allemande (notamment celle des retraités) menacée par les taux d’intérêt trop bas. M. Glucksmann n’a donc pas tort de déclarer : « J’ai peur pour l’avenir de l’Union européenne. » (France Inter, 9 mai).
Cela dit, c’est dès le 6 mai que les réactions de ce côté-ci du Rhin sont fonction du clivage souverainisme-européisme. Les partisans de l’Union sont consternés ou simplement agacés. Consterné M. Seux qui, dans son « édito économique « (France Inter) déclare : « Avec une monnaie unique, tout le monde est dans le même bateau […] Les Allemands doivent dire s’ils veulent que le bateau coule. » A vos bouées ! Agacé, M. Minc qui lui succède au même micro en tant qu’invité de 7h50 : « C’est un jeu de rôles classique qui dure depuis la création de l’euro. La cour de Karlsruhe tient des raisonnements juridiques que la réalité de la pratique contourne […] Donc, c’est à la fois désagréable, un peu misérable et sans importance. » Ça va donc faire pschitt, comme aurait dit Jacques Chirac. On remarque que Mme Lagarde va plutôt dans ce sens puisqu’elle « ne veu[t] pas d’escalade dans le conflit » et privilégie « une solution diplomatique qui protège l’indépendance de la B.C.E. tout en satisfaisant les exigences des juges. ». Le compromis à tout prix !
Bien entendu, la voix d’Eric Zemmour (C.News, « Face à l’info ») détonne franchement, dès le titre empreint d’ironie de son intervention : « L’Allemagne s’attaque à l’U.E. ». Mais, sur le fond, son analyse colle au message lancé par le Tribunal de Karlsruhe : refus de se soumettre à la C.J.U.E. et menace à l’encontre de la B.C.E.
Cette menace qui exaspère Alain Minc, c’est la possibilité que soit interdit à la Bundesbank de participer à l’opération de financement montée par la B.C.E. Ce serait un coup fatal pour la zone euro et la fin de la ligne Mario Draghi qui, en 2012, se déclarait prêt à tout ce qui était en son pouvoir pour « préserver l’euro ». Or, malgré qu’en ait Alain Minc, le simple fait de brandir une telle menace lui donne du crédit : tout le monde sait désormais que la zone euro est mortelle. Il ne s’agit pas de s’en réjouir, mais d’en avoir politiquement conscience.
L’Union vient quand même de fêter samedi 9 les soixante-dix ans de la déclaration fondatrice de Robert Schuman. Bien piètre Union en vérité, coupée en au moins deux zones économiques et financières très nettes où le nord-fourmi s’oppose au sud-cigale. Ses partisans les plus naïfs veulent croire à un sursaut du couple franco-allemand. Or, s’il a jamais existé, ce dernier a cependant fait long feu. Le décrochage continu de la France aggravé par un euro clone du mark, un deutschemark bis si l’on préfère, laisse la seule Allemagne en position de force. L’Union n’échappant pas à la nature des choses, tout y est rapport de force. Il faut cesser de (faire semblant de) croire au compromis et à la négociation, démarches qui peuvent tout au plus faire illusion quelque temps. D’ailleurs, pourquoi l’Allemagne renoncerait-elle à son avantage ? Qui peut croire, plus précisément, qu’elle céderait sur sa souveraineté monétaire de fait ?
Cela aussi, il faut en avoir politiquement conscience. Pour la suite, nous verrons dans trois mois. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Le 9 octobre 1933, l’Allemagne annonçait son retrait de la Société des Nations et, mutatis mutandis, le parallèle sur la permanence du nationalisme allemand saute aux yeux.
« Pourquoi en voudrais-je à une nation de nous prendre ce que nous lui avons abandonné ? » disait Marcel Aymé à Thierry Maulnier. L’Allemagne s’occupe d’elle…
C’est un autre de ces sujets où le mal est bien plus endogène qu’exogène. Mais il est tellement plus facile de s’en prendre à l’autre qu’à soi-même. L’Allemagne de jadis nous menaçait militairement. Elle y a renoncé et de toute façon n’en n’a plus les moyens, sans doute pour assez longtemps. Voudrait-on lui interdire le succès économique quand nous ne faisons pas ce qu’il faut pour au moins faire avec elle jeu égal ? Le vieux réflexe anti-boche me semble obsolète.
Dans cet article une fois de plus excellent, LJD réussit à rendre clair et compréhensible un ensemble de mécanismes économiques relativement complexe. C’est bien.
Ce n’est pas fréquent, y compris dans les publications maurrassiennes. JSF, en un sens, fait souvent exception.